Les incivilités : un sujet inattendu pour l’Assemblée citoyenne et populaire de Poitiers … On vous explique pourquoi on est finalement super contents de ce choix !

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19 octobre 2022

Le 8 octobre 2022, plus de 100 poitevins se sont réunis pour choisir parmi les 18 sujets proposés par les habitants LE sujet sur lequel va travailler l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers pendant un an.

A 14h, trois sujets étaient en finale :

  • L’adaptation de Poitiers au changement climatique,
  • La cohabitation des moyens de transport dans la ville,
  • Les incivilités dans l’espace public.

Les animateurs de la coopérative Fréquence Commune ont animé des ateliers pour permettre à la centaine de participants de décider par eux-même sur quel sujet ils souhaitaient travailler pendant un an. Pour ce faire, les poitevins se sont déplacés dans l’espace pour exprimer leur accord et désaccord, ils se sont ensuite divisés en petits groupes pour approfondir les discussions puis ont pu s’exprimer librement devant l’Assemblée.

Il s’agit ici d’un exercice démocratique très simple et pourtant bien rare, qui met en scène le débat et la délibération dans un rapport de bienveillance, permet l’écoute active et la possibilité, en conscience, de changer d’avis. C’est par ce genre d’animation que se mettent en place les bases de l’intelligence collective, qui permet de prendre une décision sur les fondements même de la formation de la volonté générale et de l’intérêt général. Nous avons vu ainsi les participants changer d’avis, hésiter, argumenter la pertinence de traiter leur sujet en Assemblée ou au contraire, abandonner leur sujet favori, attirés par un autre sujet qu’ils trouvaient le plus important à travailler dans ce cadre démocratique.

La qualité des échanges et de l’écoute des participants ont permis d’explorer chaque sujet de manière très pragmatique et éclairante. Certaines personnes, venues le matin presque par hasard, se sont retrouvées ambassadrices d’un sujet et ont pris la parole devant plus de cent personnes, parfois pour la première fois. L’Assemblée fut une réelle opportunité d’entrer dans une citoyenneté active, de s’approprier des sujets majeurs, normalement gérés par la ville, d’accéder à un pouvoir d’agir.

Les élus et les agents présents ont pu, eux aussi participer, en étant à la même place que les autres participants, n’ayant pas plus de privilège ou de temps de parole que les autres, apportant des éclairages techniques et politiques nécessaires à la faisabilité des propositions.

Après des échanges riches, l’Assemblée est passée au vote. Malgré le sentiment général que les trois sujets étaient d’une importance majeure, il fallait maintenant choisir quel sujet était le plus intéressant pour être travaillé pendant un an dans le format de l’Assemblée. A l’aide de cartons vert (favorable), blanc (sans avis) et rouge (défavorable), les participants se sont prononcés. Les résultats ont été calculés sur le principe qu’un carton rouge annule un carton vert. Le sujet affichant le plus grand chiffre serait donc le sujet choisi.

L’incivilité dans l’espace public est arrivé en première position avec 22 points, en seconde position la cohabitation des moyens de transport dans la ville avec 19 points puis en troisième position l’adaptation de Poitiers au changement climatique avec 16 points. Cette thématique n’a pas manqué de nous surprendre, nous l’équipe de Fréquence Commune, mais aussi les élu.es et les agents municipaux présent.es.

L’annonce des résultats

Les débats qui ont permis d’arriver à cette décision permettent de comprendre la pertinence de ce choix.

Même si de prime abord, l’incivilité dans la ville est associée à la problématique de la propreté et de la question des nuisances sonores, il serait tout à fait réducteur de limiter la problématique apportée par l’Assemblée ce jour-là à ces deux critères. Traiter des incivilités pour l’Assemblée citoyenne et populaire de Poitiers signifie aussi :

  • se réapproprier frontalement un sujet habituellement monopolisé par l’extrême droite ;
  • lutter contre le harcèlement de rue et le sentiment d’insécurité notamment ressenti par les femmes et les personnes LGBTQI+ dans l’espace public ;
  • lutter contre les comportements sexistes et changer les mentalités ;
  • créer une culture de l’entraide et de la solidarité ;
  • la réappropriation des espaces publics par les citoyen.nes, y compris les enjeux de l’égalité hommes-femmes ;
  • combattre l’individualisme, retrouver le sens de l’intérêt commun, renforcer le vivre ensemble ;
  • répondre autrement à la problématique de la sécurité que par une présence policière ou par la vidéo surveillance ;
  • se réapproprier les termes « incivilité » ou « sécurité » largement galvaudés et instrumentalisés politiquement, à des fins électoralistes, mais aussi régulièrement rapportés par les médias sous la forme de faits divers sensationnalistes et de communications anxiogènes (violence, délinquance, discours de haines, de peurs, de divisions, de désignation d’ennemis intérieurs, de responsables des maux sociaux ou d’amalgames habituels) qui exacerbent le sentiment de peur et de méfiance envers “l’autre” ;
  • refroidir et objectiver cette question controversée, écouter, entendre les motifs, les arguments « des fâchés », « délepéniser » les esprits, rétablir de la connaissance ;
  • apporter un enjeu culturel fort sur les notions de respect et de rapport à l’altérité

C’est finalement et probablement le sujet le plus intéressant pour une première Assemblée car il garantit une variété de participant.es et d’interprétations extrêmement riches, permettant de croiser les regards et les vécus de personnes radicalement opposées, permettant de dépasser les clivages de genres, de classes, de générations, de quartiers, de sensibilité politique, d’origine et de confessions.

Ce fut le cas dès cette première Assemblée où deux jeunes filles et deux personnes âgées, discutaient ensemble et apportaient leur vision respective de ce que leur évoquent les incivilités dans l’espace public. Pour les premières, le sujet choisi par l’Assemblée leur permettrait de travailler sur la question du harcèlement de rue et des comportements sexistes dans l’espace public, alors que pour leurs interlocutrices, il s’agissait de trouver des solutions pour sensibiliser les citoyens à propos de leurs déchets, laissés parfois au coin des rues. Un sujet qui garantit une Assemblée riche en rencontres, en prise de conscience de la réalité de chacun.e et de la construction d’un vivre et d’un faire ensemble plus incarné par des personnes réelles, des habitant.es.

Au-delà du sujet, l’objectif de l’Assemblée est d’ouvrir un espace de discussion dans l’espace public, de réussir à délibérer avec plusieurs centaines de personnes sur un sujet majeur et de donner aux habitant.es de véritables leviers de transformation concrète pour la ville. Cet  exercice démocratique permet de s’exercer à se réapproprier la décision politique au local et de montrer aux instances de pouvoir et aux institutions que l’expertise d’usage des citoyen.nes est un pilier fondamental de la démocratie, que les habitant.es sont porteurs d’une philosophie de l’intérêt général, et d’un réel pouvoir de “faire collectivité ». L’Assemblée apporte des réponses collectives, plurielles, et transforme directement la ville tout en inspirant les pratiques ailleurs.

Pour les autres sujets qui n’ont pas gagné, rendez-vous l’année prochaine ! L’Assemblée choisira à nouveau un sujet, pour le travailler pendant un an.

Les prochaines étapes :

  • porte-à-porte pour aller chercher les 100 tiré.es au sort qui viendront travailler pendant un an le sujet de l’assemblée
  • réunion des tiré.es au sort
  • réunion du groupe de proposeurs (ce petit groupe travaillera plus finement le sujet entre chaque assemblée, jusqu’à la prochaine Assemblée Citoyenne et Populaire ouverte à toutes et tous le 4 mars 2023 !)

Verbatim des participants  :

“Les deux autres sujets sur les thématiques écologiques sont passionnants, et me semblent tout à fait essentiels, mais ils sont déjà très pris en charge par l’équipe municipale, ce sujet permettrait de se connaître et d’ouvrir plein de portes sur le sujet du vivre ensemble dans la ville”. 

“C’est loin d’être un sujet restreint, c’est un sujet qui porte l’ambition de changer les mentalités sur beaucoup de questions : la question de la bonne gestion de ses déchets par exemple, c’est un sujet qui touche aussi à la question du changement climatique.”

“La ville va bientôt mettre en place la fin de l’éclairage public la nuit. Je trouve que c’est une très bonne chose d’un point de vue écologique. Mais il va falloir réfléchir à la question de la possibilité de se promener la nuit sereinement dans les rues. L’Assemblée pourra se saisir de cette problématique”

Un agent : “En termes de compétence de la ville sur le sujet, sur la question des mobilités nous ne pouvons pas avoir la main à 100% car les compétences sont réparties sur plusieurs autorités territoriales. Sur le sujet de l’incivilité, on peut faire des choses concrètes. L’Assemblée en elle-même est une preuve concrète d’action.”

“Je connais une ville où les habitants distribuent des cartons jaunes à toute personne ayant eu un comportement sexiste. Cela peut être un exemple inspirant de ce que nous pourrions mettre en place pour faire évoluer les comportements.”

“Je pense que les incivilités sont une question tellement complexe que seuls les citoyens peuvent trouver des réponses adaptées. Dans les moments difficiles à venir, la lutte contre l’incivilité va nous aider à nous adapter, à lutter ensemble.”

“L’objectif est aussi de raccrocher les gens qui ne croient plus en la démocratie, en la possibilité de faire ensemble. Il faut un sujet avec un “avant” et un “après”.”

“ Une ville où il y a de l’insécurité, de l’incivilité, c’est une ville où l’on ne se sent pas bien. Cela touche tout le monde. Les gens se ferment sur eux. Ils deviennent difficilement ouverts, on peur de “l’autre”. Organiser des débats dans l’espace public, cela donnerait une conscience du respect dès le plus jeune âge.”

L’équipe des animateurs.trices de Fréquence Commune.

A voir : Le sujet choisi par l’Assemblée citoyenne expliqué par deux poitevines.

A lire :
Bachir M.,« Un début de partage du pouvoir ? L’Assemblée Citoyenne de Poitiers », avril 2022
Bachir M., « Points forts, risques et opportunités de l’Assemblée Citoyenne de Poitiers », 20.04.2022
Bachir M., «Sensible, difficile et exigeante citoyenneté en dehors du vote », 2020/01, Silomag, Silo Agora
des Pensées Critiques
Bacqué M.-H. et Mechmache M. 2013. Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera
plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. Rapport au ministère de la Ville.
Bacqué M.-H. et Mechmache M. 2013. Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera
plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. Rapport au ministère de la Ville.