Points forts, risques et opportunités de l’Assemblée Citoyenne de Poitiers

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20 avril 2022

Interview par Fréquence Commune de la chercheuse Myriam Bachir qui […]

Interview par Fréquence Commune de la chercheuse Myriam Bachir qui a suivi les travaux d’élaboration de l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers. Myriam Bachir est maîtresse de conférences à l’université de Picardie Jules Verne et chercheuse au CNRS en Science Politique. Ses travaux interrogent les transformations démocratiques, les formes de l’implication citoyenne dans les processus de décision, la fabrique des publics participatifs et le partage du pouvoir politique dans les démocraties contemporaines.[1]

Comment avez-vous été amenée à suivre les travaux d’élaboration de l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers ?

MB : « J’ai été invitée et associée par la coopérative Fréquence Commune qui accompagne la municipalité de Poitiers, en tant que chercheuse dans le cadre d’un programme de recherche CNRS portant sur les élu.es municipaux issus de Listes Citoyennes et Participatives (LCP).  Ces listes font une irruption remarquée dans le paysage politique français lors des élections municipales de 2020[2]. Les LCP consacrent l’entrée en politique au niveau local d’un personnel politique d’un genre nouveau. Plus jeunes, plus féminin et plus diplômé.es que leurs prédécesseurs, ces édiles se distinguent aussi en tant que primo-entrant.e.s, novices en politique et, pour une grande majorité, non encart.é.e.s. Elles et ils se définissent volontiers comme « élu.e.s citoyen.nes » ou « citoyen.nes élu.s ». Les lignes et projets politiques explicitement posés dans les programmes des LCP, dont fait partie Poitiers Collectif, reposent sur le partage du pouvoir avec les citoyen.nes et la transition démocratique.Au-delà d’un effet d’annonce, l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers en est une manifestation. C’est un symbole, validé par des actes, d’un début de transition démocratique en train de se faire à l’échelle locale.»

Quels sont les points forts, les innovations démocratiques et citoyennes de ce travail à Poitiers et de son aboutissement ?

MB : « D’abord, c’est toujours un privilège, plus encore, exaltant pour une chercheuse de pouvoir observer les transitions sociales et politiques dans l’espace-temps dans lequel elles se produisent, en même temps qu’elles se réalisent. C’est une grande chance et un vrai plaisir de la recherche.

Ensuite, l’observation du travail associé de l’Assemblée de Préfiguration de Poitierspendant ces 4 mois[3] intenses de co-élaboration de la future Assemblée m’a permis de faire évoluer mes réflexions et d’ouvrir de nouvelles pistes par rapport à mes résultats scientifiques précédents. Le travail associé tripartite est au cœur de la philosophie de Fréquence Commune. Echaudée par l’expérience d’études de formes participatives institutionnelles, descendantes, j’étais assez réservée sur la réalité d’un possible travail à égalité et en sincérité entre les acteurs du fameux triangle participatif élu.es, agents, citoyen.nes.

Evidemment, ce succès doit beaucoup aux outils d’animation (éducation populaire et « intelligence collective »). Ici l’outil n’est pas est mis au service d’une sorte de maïeutique : faire advenir, en partant du groupe, un futur possible et concret.

Les élu.e.s citoyen.nes et participatif.ves issu.es de la LCP Poitiers Collectif y sont, bien sûr, aussi pour beaucoup tant ils prennent l’instant participatif, la sollicitation citoyenne et le partage du pouvoir au sérieux. Pour ces élu.e.s et agents de la transition démocratique donner la parole, c’est donner sa parole. C’est accepter le partage du pouvoir comme l’atteste l’innovation de l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers.

Maturité, assiduité, sens des responsabilités, appétence politique et démocratique, ces mots caractérisent la présence citoyenne au sein de l’Assemblée de Préfiguration de Poitiers. Des mondes sociaux, des univers institutionnels, générationnels, des territoires, des quartiers, des origines et des professions habituellement cloisonnés se sont croisés puis rencontrés, contredis, écoutés, parfois emportés, questionnés et ont cheminé ensemble le temps qu’il a fallu pour faire assemblée. Des élu.e.s, des fonctionnaires, des volontaires, —parmi les plus âgées des acteurs associatifs de comités et maisons de quartiers—, et beaucoup de très jeunes, venus d’elles et d’eux-mêmes ou tirées au sort. L’absence d’abandon de la part des personnes tiré.e.s au sort, tout au long de ces séquences démocratiques, est suffisamment rare pour être soulignée. Il s’agit d’une prouesse comparée aux dispositifs participatifs institutionnels habituels (Bachir, Lefebvre, Participations, 2020). Insolite, la photographie bouscule les discours de crise de la démocratie, de la participation et de rejet de la politique par les citoyens.

Les citoyen.nes de l’Assemblée de Préfiguration préfèrent parler de vide politique, d’attente inassouvie, de besoin ressenti de s’engager, de porter des causes sans avoir trouvé d’espaces consacrés. « Je vous attendais » dit une jeune femme tirée au sort et qui se croyait très éloignée de la politique.

La convivialité, la bienveillance et la joie de se retrouver étaient aussi de la partie à chaque rendez-vous. C’est dire qu’il est possible et souhaitable de faire de la politique agréablement, avec empathie, respect et avec humour.

Innovante et inédite, l’Assemblée Citoyenne et Populaire l’est car elle conjugue les « principes actifs » suivants :

– co-construction par la délibération élu.e.s/agents/citoyen.nes, sur un sujet et tout au long du processus, allant du choix du sujet, en passant par des navettes et ajustement, jusqu’à la proposition finale mis à l’agenda du Conseil Municipal,

– expérimentation, le droit de se tromper et de réajuster chemin faisant, symptomatique d’une autre représentation, plus modeste, de la et du politique et d’un autre rapport au temps politique,

– inclusion, car elle est ouverte au plus grand nombre en instaurant une conception extensive de la notion de citoyenneté (sans condition de nationalité, à partir de 16 ans, résident.e.s, étudiant.e.s et professionnel.les exerçant sur le territoire de la ville) et en associant une dose de tirage au sort inclusif,

– partage du pouvoir élu.es /citoyen.nes car l’Assemblée Citoyenne et Populaire est décisionnaire ; ses propositions sont soumises, en l’état, au vote du Conseil Municipal ou à référendum local conformément à la copie originale, sans « retouches », ni « filtres » (à la différence notable, par exemple, des propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat, malmenées par le pouvoir exécutif avant d’être soumises à la délibération parlementaire) »

Selon vous, y-a-t-il des risques et/ou des opportunités à faire travailler ensemble les élus, les agents et les citoyens ?

MB : « L’interaction étroite, continue et inscrite dans la durée du trio démocratique est une condition de succès de la co-construction. La co-construction doit être entendue comme un processus et non comme un état figé dans un temps T. Co-construire suppose des allers-retours itératifs entre les 3 acteurs de la décision. Il faut du temps et des échanges réguliers pour pouvoir intégrer, en allant, chemin faisant les multiples rationalités et les contraintes. C’est un « work in progres »s, un chantier en cours intégrant au fur et à mesure permettant d’apprendre ensemble et d’arbitrer entre les différents paramètres du souhaitable, du pensable et du faisable. Sans ce long travail exigeant et formateur pour tou.tes, il ne s’agit plus de co-construction mais de consultation. Ce n’est pas un mal en soit, mais ce n’est plus la même chose, ni le même degré de participation et il n’y a pas dans ce cas de partage du pouvoir.»

Quel bilan tirez-vous de cette expérience et quels conseils donneriez-vous aux collectivités qui voudraient construire une Assemblée Citoyenne ?

MB : « Veiller à l’inclusion par un tirage au sort sociologiquement raisonné pour atteindre les citoyen.nes dans leur diversité et possiblement les plus en marge de la politique,

-Encourager et soutenir la mobilisation par la mise en place d’aides pratiques et concrètes à la participation sous la forme de gardes d’enfants, défraiements, dédommagements, rétributions,

-Accorder du temps à la participation citoyenne. Dans le cadre de l’Assemblée de Préfiguration à l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers, le groupe et la confiance se sont construits au fil des rencontres à la faveur de la confrontation et de la reconnaissance des différences et des convergences de visions, par des apprentissages mutuels, des langages qui doivent s’apprendre, se comprendre, se reconnaitre. Accepter de déconstruire et de se remettre en cause, cela est possible, mais suppose du temps et de l’accompagnement.

La participation citoyenne est fragile, sensible, en plus du temps, elle requiert des savoir-faire professionnels expérimentés. Les outils d’animation et d’accompagnement pour libérer et faire advenir une parole citoyenne, demeurée si longuement absente de l’espace public, ne s’improvisent pas.

L’enjeu, pour chacun.e des acteurs du triangle, mérite de consacrer ce temps démocratique pourvoyeur de réconciliation et de réparation d’un lien politique abîmé par un système représentatif vertical et non partageur.

Est-ce que ce projet d’Assemblée est reconductible ou possiblement à dupliquer ?

Il n’est pas certain que cela soit souhaitable. Le risque est de gouverner par les instruments au détriment des idées. Performer par l’outil. Attention au risque de la technique pour la technique, à celui de gadgétisation du dispositif. A l’instar du Budget Participatif, tout le monde pourrait vouloir son Assemblée Citoyenne comme gage de démocratie renouvelée. Il n’y a pas que dans les régimes autoritaires loin d’ici, hors des frontières, où on crée des assemblées fantoches  supposées apporter la preuve de la transition démocratique. Il n’y a pas de modèle. Chaque commune doit trouver la temporalité et les processus démocratiques qui lui conviennent, en fonction de l’histoire sociale et politique du territoire, des caractéristiques sociodémographiques etc. La vraie question est, une Assemblée Citoyenne ou un conseil de quartier ou autres, oui, d’accord ; mais pour quoi faire ?                                                                 

Comment mobiliser les citoyens sur un temps long ?

Le principal enjeu, comme dans tout dispositif, c’est en effet 1) la fabrique du public délibératif, donc la question de la mobilisation citoyenne et 2) sa fidélisation dans le temps. Comment rendre attractif et ne pas perdre les participant.es, notamment les citoyen.nes tiré.es au sort dans la durée. Il est prévu que l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers travaille au moins 1 an ou plus si besoin, sur un sujet. Le coût d’entrée peut être lourd et long pour les citoyen.nes qui n’ont pas la disponibilité biographique des habitués de la participation (les retraité.es par exemple) et qui ne sont pas a priori impliqué.es politiquement. Même s’il faut formuler un bémol car dans le cadre de l’expérience de l’Assemblée de Préfiguration, les tiré.es au sort ont été très assidu.es, autant, voire davantage que les citoyen.nes volontaires.

Quel est le bon moyen pour constituer le public de l’Assemblée ?

La fabrique des publics de la participation par tirage au sort suppose de la rigueur méthodologique, beaucoup de temps et la mobilisation de beaucoup de monde pour un résultat assez marginal. L’Assemblée Citoyenne et Populaire comme son nom l’indique se veut inclusive, l’enjeu est par conséquent de toucher la population du territoire dans sa diversité et d’inclure dans l’assemblée les exclu.es de la participation. Les quartiers « Politiques de la Ville » et populaires ont été plus difficilement mobilisées dans le cadre de l’AP.

Le tirage au sort sur la base du cadastre comporte t-il des biais selon vous ?

Le cadastre découpe les territoires en parcelles en tenant compte de la superficie au sol et non de la densité, ce qui favorise le tirage au sort de personnes résidant dans du logement individuel au détriment des grands ensembles verticaux Lors de la constitution de l’Assemblée de Préfiguration, il a été difficile de recruter des habitant.e.s de l’ensemble des quartiers populaires et d’habitat social. Ce manque de représentativité a été compensé par des volontaires, donc par définition déjà investis. Il faudrait trouver les moyens techniques de remédier à ce biais important en faveur des classes moyennes et supérieures, accédant tendanciellement plus à la propriété dans des formes d’habitat type maison individuelle, par un mode de tirage au sort sur des parcelles cadastrales proportionnellement à la densité de population et une pondération plus favorable aux quartiers HLM.

Comment remédier au risque d’abandon, de lassitude des citoyen.nes  ?

L’Assemblée de Préfiguration a prévu une réserve citoyenne. La mobilisation, de type « work in progress », est un travail à alimenter régulièrement, entretenir, à refaire. L’AP a aussi décidé la mise en place de dédommagement de frais de garde d’enfants, de frais de déplacement, des défraiements et une modalité de rétributions financières qui a fait débat au sein de l’AP. L’argent demeure une question taboue, plus encore quand le mot est accolé à politique. Les membres de l’AP les plus opposés l’étaient pour des raisons de systèmes de valeur, de la conception de la citoyenneté. Cette question de la rétribution citoyenne a pu heurter et questionner le sens de l’engagement citoyen, associé à la gratuité, à l’idée de devoir, de don. Les positions ont évolué à la faveur du débat, de la réflexion collective et maturation individuelle, à partir d’échanges, d’exemples d’expériences venues d’ailleurs. C’était passionnant, aussi parce que rare et riche ce moment de débat démocratiquerelevant de la philosophie et de l’éthique.

Enfin, le choix du sujet est fondamental. Un « sujet structurant pour la ville », ce sont les termes utilisés dans les principes de fonctionnement élaborés par l’AP. Ce que je désigne l’audience l’est également. L’audience d’un sujet suppose qu’il contienne et puisse articuler plusieurs dimensions. Elle tient d’abord à son aspect concret, réalisable à court ou moyen termes, à la visibilité et à l’impact ressenti, aux retombées mesurables, offrant des perspectives de changement palpables Ce qui procure de l’audience à un sujet, c’est aussi sa dimension généraliste ou généralisable, sa simplicité dans le sens non pas simplisme mais de compréhension et d’accessibilité, d’une formulation pas technicienne ou dans un jargon d’experts, permettant à un groupe important et divers de pouvoir s’y reconnaitre. Enfin, l’audience d’un sujet renvoie à sa capacité à englober, embrasser des causes, des idéaux, des questions/enjeux pour les habitant.es et le territoire.

Y a-t-il d’autres enjeux pour que cela marche selon vous ?

Celui de l’animation et de l’équilibre entre les membres de l’ACP. Veiller à ce qu’un groupe, une catégorie ne prenne pas le dessus sur les autres. Le triangle démocratique est au centre du travail associé et c’est le choix de la mixité (élu.es/technicien.nes/citoyen.nes) qui a été fait pour l’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers. Un tel équilibre paraît difficilement atteignable sans une présence extérieure, sans un tiers régulateur.

Par exemple, lors de l’Assemblée de Préfiguration, les acteurs des associations, conseils et maisons de quartiers se sont montré.es plus prompts à prendre la parole. Plus âgé.es, donc plus expériment.é.es, plus investi.e.s que les volontaires et tiré.es au sort, en moyenne plus jeunes et éloigné.es de la vie politique, ils ont eu parfois, du moins au début du processus, tendance à ramener les problématiques à celles des structures qu’ils et elles représentent et à se positionner dans un plaidoyer pour la reconnaissance et la consolidation de ces collectifs en tant qu’intermédiaires  entre les élus et les habitan.tes des quartiers. Il s’agit, bien sûr, du rôle historique et important en termes de liens social et politique que jouent ces collectifs. Il leur a fallu, dans le cade de l’AP et de la future assemblée ajuster, avec succès et intelligence, la perspective, changer la focale.

Le partage d’informations et la « mise à niveau » des connaissances sur le sujet est un autre défi à relever, certes, pendant les journées d’assemblée, mais aussi à d’autres endroits car une journée festive ne peut suffire à combler le différentiel. Le partage des connaissances est au cœur des défis d’une démocratie inclusive et ouverte à tou.tes les citoyen.nes.

[2] Myriam Bachir, Le Monde, « Citoyennes et participatives, des listes qui ré enchantent la politique », 26.02.20https://www.lemonde.fr/blog/terrainscampagnes/2020/02/26/citoyennes-et-participatives-des-listes-qui-reenchantent-la-politique/

[3] De novembre 2021 à janvier 2022.