Une ferme maraîchère communale et citoyenne, c’est possible ! 

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15 avril 2024

La Crèche est une commune de 6000 habitant.es, située dans le centre-ouest de la France, dans le département des Deux-Sèvres. Depuis deux ans, l’équipe municipale travaille à la mise en place d’une ferme maraîchère communale et citoyenne pour alimenter les cantines locales.

Un projet né d’un programme municipal construit par les habitant.e.s

Avant les élections municipales, un groupe d’habitant.e.s s’est réuni autour d’ateliers pour définir le programme municipal pour le mandat 2020-2026. Une centaine de propositions ont été faites, regroupées par thématiques et “socle de valeurs”. Cela a permis à l’équipe municipale, une fois élue et en place à la mairie, d’avoir un fil rouge et de décliner ce programme thématique en projets concrets.

Une des plus grandes envies des habitant.e.s était de relocaliser la production agricole pour approvisionner en circuit court et en produits de qualité les cantines locales. C’est donc une des premières actions que cette nouvelle équipe municipale a mise en place une fois arrivée à la mairie.

Laetitia, maire de La Crèche : “L’écart entre ce que les habitant.e.s souhaitent et ce qu’il est possible de faire une fois arrivés à la mairie est parfois grand, c’est pour cela que le but de l’écriture du programme municipal était plus de donner une orientation, des valeurs et des thématiques, que de proposer des projets trop concrets que nous n’aurions peut être pas pu honorer pour de multiples raisons (techniques, compétences de la commune, budget, opportunités…) Le but est de respecter cette orientation et ces valeurs tout au long du programme.”

Une régie agricole bio et locale, en plein cœur du village

La mairie est propriétaire de 7 hectares de terrain dans le centre bourg de La Crèche qu’elle laissait jusqu’à présent à l’usage d’un agriculteur. Ces terrains ont été repris par la commune pour y établir le projet.

La mairie a ensuite demandé à la communauté de communes, chargée de travailler plus globalement sur le plan alimentaire territorial (PAT), de financer l’étude de faisabilité du projet. C’est l’association “ver de terre production” qui s’est chargée de mener cette étude, qui a abouti à la confirmation que la surface agricole était suffisante pour honorer l’objectif d’une production de 500 repas journaliers. Il sera même possible d’en faire bénéficier les communes alentour.

Maintenant, place au concret : les 7 hectares ont été agradés en y plantant du sorgho, pour venir améliorer la qualité d’un sol qui avait été épuisé par des années de monoculture. Puis, les travaux ont débuté pour aménager le bâtiment de stockage de la production alimentaire, aux abords des terrains agricoles. La fin des travaux est prévue fin 2024 et le lancement de la chaîne de production début 2025.

Prochaines étapes :

  • Emploi des maraîcher.ère.s.
  • Penser l’organisation d’une conserverie (car oui, la plupart des légumes poussent en été, quand les cantines des écoles sont fermées, il est donc indispensable de penser la conservation des denrées en surgélation (partenariat avec des entreprises du territoires), mais également en conserverie (géré directement par les maraîcher.ère.s).

Sensibiliser sur les enjeux agricoles et alimentaires

Alimenter des cantines en circuit court pour repenser notre impact sur l’environnement et nourrir les jeunes avec des produits de bonne qualité est un objectif certain.

Mais il en demeure un autre qui va de pair avec cet effort, c’est l’information, la conscientisation et la responsabilisation des habitant.e.s sur ces questions de transformation de nos habitudes et de notre société, en l’occurrence ici, sur les enjeux agricoles et alimentaires. Qu’est-ce qu’un circuit court ? D’où viennent les aliments que je consomme ? Comment ont-ils été produits ? Par qui ?

Pour répondre à cet enjeu de sensibilisation, le projet prévoit des dynamiques d’éducation populaire comme par exemple l’organisation de chantiers participatifs pour aider les maraîcher.ère.s pendant un pic de récolte, ou encore aider à monter une serre agricole. Les écoles seront associées de près à ces chantiers de sensibilisation.

Plantation participative de haies avec les collégiens la semaine, et les habitant.e.s le weekend.

Un bouleversement des habitudes de travail pour les agents des cantines

Cette nouvelle organisation de la production implique un changement dans les habitudes de travail des agents de cantine. Jusqu’à présent, les cantines étaient livrées par de gros distributeurs qui proposent des conserves de produits bruts ou transformés non bios.

Désormais, les agents des cantines vont cuisiner eux-mêmes des plats faits maison, composés de fruits et légumes créchois, de saison et biologiques, livrés directement par les maraîcher.ère.s. La préparation des repas se fera dans la cuisine centrale déjà existante.

Des bâtons dans les roues : la communauté de communes et la préfecture, défiantes face à ces changements d’habitudes

La collaboration avec la communauté de communes et la préfecture ne fut malheureusement pas d’une grande fluidité. Après de longs échanges et négociations sur les modalités légales et juridiques, la préfecture a enfin validé le projet, et la communauté de communes a accepté de prendre à sa charge l’investissement des travaux de la régie maraîchère (projet qui répond pourtant en tout point au plan alimentaire territorial dont elle a la charge). Il est difficile de faire naître des projets qui sortent du schéma conventionnel et bouleversent les habitudes de fonctionnement inertiel des institutions (préfecture, communauté de communes, département…).

Gagner la commune est indispensable pour faire advenir certains projets

Ces longues négociations avec les acteurs politiques des institutions du territoire laissent à penser qu’il aurait probablement été très difficile voire impossible pour une association indépendante sans la mairie de faire aboutir un tel projet de transformation, mêlant des enjeux d’envergure pour le territoire tels que l’alimentation, l’agriculture, les enjeux sociaux, environnementaux et de changement de pratiques des établissements publics. La mairie joue un rôle de mise en réseau essentiel auprès des partenaires et institutions du territoire.

C’est également l’opportunité qu’a eu la mairie de remettre la main sur ce terrain communal de 7 hectares qui a été décisive.

Une gouvernance partagée qui garantit la pérennité du projet d’un mandat municipal à l’autre

Selon l’équipe municipale, le meilleur moyen de protéger ce projet sur le long terme c’est justement qu’il ne soit pas qu’entre les mains de collectivités (mairie, communauté de communes…). Si les habitant.e.s et les associations font partie intégrante de la gouvernance, un équilibre des forces et un contre-pouvoir pourra se jouer si le projet venait à être menacé par un changement d’équipe municipale défavorable au projet par exemple. Laetitia, maire de La Crèche nous confie : “Il y a de la politique politicienne, par exemple sous la forme de négociations entre mairie et communauté de communes qui vient se jouer, à un endroit où il ne devrait pas y en avoir. On veut s’assurer qu’une fois le projet monté, on puisse aller vers une gouvernance claire et partagée et s’extraire de ces rapports de force. Que le pouvoir de décision soit aussi en dehors de la mairie

Pour cela, l’équipe municipale est en réflexion sur le meilleur modèle de gouvernance. Ce pourrait être par exemple une  Coopérative SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), régie par plusieurs collèges décisionnaires : la mairie, les habitant.e.s, les associations du village.

Laetitia, maire de La Crèche : “Nous nous sommes donnés la mission d’établir les bases de ce projet, de penser sa gouvernance sur le long terme, de faire le lien avec les acteurs du territoire (communauté de communes, département, associations …), de construire le modèle économique et de financer les travaux d’investissement.”

Une charte venant protéger les valeurs du projet sur le long terme sera également rédigée pour préserver l’intention et le cadre non négociable (circuit court, agriculture biologique, bien-être des maraîcher.ère.s, nourrir les écoles). Un exemple de ligne rouge à ne pas franchir : il est interdit de faire de la vente aux particuliers pour ne pas concurrencer les autres maraîcher.ère.s.

La mobilisation des habitant.e.s autour de ce projet

La maire fait remarquer qu’il est souvent difficile de mobiliser les habitant.e.s dans des projets internes à la mairie. Ce genre de projet en dehors de la mairie, au centre village et aux retombées très concrètes et locales, attire plus facilement les habitant.e.s car ils comprennent très bien comment s’y projeter et saisissent l’impact positif pour le village.

Laetitia : “C’est un projet très consensuel, il crée déjà, dès les premières étapes de sa construction, une vraie cohésion à La Crèche. Aucun doute qu’il crée une réelle appropriation par habitant.e.s sur le long terme.”

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