Auray : des cantines scolaires qui produisent leurs propres légumes !

Entretien avec Myriam Devingt, 6e adjointe à l’éducation, l’enfance et la jeunesse et Charlotte NORMAND, conseillère municipale déléguée à l’alimentation de la Ville d’Auray.

En quelques chiffres

• 4 cantines scolaires + 1 Ehpad + un multi-accueil + des personnes bénéficiant du portage à domicile bientôt approvisionnés quotidiennement
• 700 repas par jour pour les cantines
• 28 tonnes/an de légumes produits par la ferme communale en 2025
• 4 hectares exploitables dans la ferme communale
• 10% du budget d’investissement du mandat
• Achat de la terre agricole, de la ferme, du matériel d’exploitation = 450k €
• Coût total du projet de cuisine municipale (construction de la cuisine centrale, études préalables, etc) = 2,2 millions d’€

Ils ont participé au projet

• les agents des cantines
• les parents d’élèves
• les enfants
• les enseignants
• les élu.es et adjoints (à l’éducation, l’enfance et la jeunesse, à l’urbanisme, à la cohésion sociale et aux solidarités, aux travaux, à la culture, à l’énergie et plusieurs conseillers municipaux, et régulièrement d’autres élus avec adjointure, délégation ou non, en fonction des sujets à l’ordre du jour. Cela souligne une grande transversalité de ce projet dans l’équipe municipale).
• les techniciens de la ville
• deux  bureaux d’étude

Genèse

Dès 2019, un collectif de parents d’élèves s’est mobilisé pour questionner la qualité des repas dans les écoles d’Auray. A l’heure actuelle les repas scolaires sont assurés par la cuisine centrale de Lorient, située à 42 km.

En 2020, lors de la campagne municipale, la liste “Auray ville citoyenne” avait clairement affiché le projet de déployer un plan d’alimentation durable sur la commune.

Une fois en fonction à la Mairie d’Auray, cette toute nouvelle équipe municipale a mis en route ce projet alimentaire en intégrant petit à petit à la réflexion le collectif de parents soucieux d’améliorer la qualité des repas dans les cantines. La première action facile à mettre en place a été de passer tous les goûters des accueils périscolaires en bio et local.

Le projet d’alimentation durable

• acquérir une ferme et des terres agricoles pour assurer un approvisionnement d’aliments bio et locaux pour toutes les cantines de la ville.
• construire une cuisine centrale à Auray pour concevoir et approvisionner en liaison chaude les 700 repas dans les 5 cantines de la ville
• donner accès à l’alimentation saine à des personnes en situation de précarité via le portage d’une préfiguration d’épicerie sociale ou solidaire en 2023-2024
• objectif 2025 : toutes les cantines d’Auray fonctionnent sur le principe “du champ à l’assiette”

Un projet “ovni” qu’il a fallu intégrer au fonctionnement de la mairie

Jusqu’à présent, la ville fonctionne sur une délégation de service public avec la cuisine centrale de Lorient qui produit les 700 repas quotidiens. “Ils nous les livrent dans des barquettes en plastique et nous n’avons plus qu’à réchauffer” nous explique Myriam Devingt, adjointe à l’éducation, l’enfance et la jeunesse à la Mairie d’Auray. “Ce nouveau projet nous a poussé à repenser tout le schéma d’approvisionnement, ce qui implique un nouveau fonctionnement interne. Nous avons créé un service Alimentation Durable et recruté une chargée de mission pour pouvoir coordonner ce projet.” ajoute-t-elle. “La ville d’Auray est encore en contrat pour deux ans avec la cuisine centrale de Lorient. Ce qui nous laisse le temps de lancer progressivement la production à la ferme” explique Charlotte Normand, Conseillère municipale déléguée à l’Alimentation.

Une période de deux ans (2020-2022) a été nécessaire pour défricher les aspects techniques d’un tel projet (s’inspirer des expériences similaires, discussions avec la cuisine centrale de Lorient, étude des aspects techniques, acquisition du foncier pour la production de légumes, etc).

Aujourd’hui, la ville ouvre le groupe de travail « Alimentation durable” aux parents d’élèves et aux enseignants. Ce groupe de travail montre la spécificité du fonctionnement municipal d’Auray basé sur le travail associé (élus, agents, habitants) qui ouvre les compétences de la ville et des projets municipaux à tous les acteurs concernés.

Un objectif social avec l’insertion professionnelle

Dès avril 2023, les élus espèrent qu’une association avec laquelle la ville travaille sur le projet va pouvoir mettre en place un chantier d’insertion pour la production de légumes sur la ferme. “On a fait le choix politique de ne pas s’orienter vers une régie agricole classique, ou avec des salariés de la mairie, nous avons délégué ce travail de gestion de la production à une association qui encadre des chantiers de personnes en insertion professionnelle, qui ne sont pas en 35h. Il y aura 6 à 8 personnes chaque jour sur la parcelle qui seront en formation.”, explique Myriam Devingt. Les objectifs de la mairie sont doubles : un volume de légumes à produire suffisant pour alimenter la cuisine centrale et des objectifs sociaux par l’insertion professionnelle.

Un changement de pratique pour les agents de la cantine

“Dans un premier temps les agents étaient plutôt réticents à l’idée que l’on vienne changer leurs habitudes de travail. Notamment à l’idée que l’on remplace les barquettes en plastique par des bacs en inox, plus lourds. Mais quand ils ont compris les contours plus larges du projet, et compris que la municipalité prenait leur avis et leurs craintes en compte, ils ont vite été emballés.

De plus, les perspectives d’évolution de leur travail les ont également enthousiasmé. Jusqu’ici, les agents en cantine, outre leur fonction pédagogique et sociale très importante auprès des enfants le midi, ont pour mission de réchauffer les plats. Ils vont bientôt avoir le choix de pouvoir faire de la cuisine avec les légumes de la ferme, élaborer les entrées et les desserts sur place.

Plusieurs points ont été faits avec les agents sur les aspects d’usage technique des cuisines. L’idée est de les intégrer à des moments clés dans le détail du fonctionnement à venir. Ils se sentent impliqués dans le projet et cela permet d’éviter les erreurs.

Nous essayons d’aller au-delà des manières de travailler en silos dans lesquels ils ont fonctionné pendant des années. Quand je vais dans les cantines, les agents me questionnent beaucoup sur la ferme et la production, cela traduit une conscience plus large de leur travail, qui dépasse les murs de la cuisine.” explique Charlotte.

Comment ce projet a-t-il été reçu par la population ?

“On a communiqué très tôt sur l’objectif affiché de localiser la production des repas. Une grande partie de notre électorat a voté pour nous parce que ce projet figurait dans notre programme.

Dès le départ, nous avons communiqué avec le collectif de parents, mais aussi dans les conseils d’écoles, directement avec les familles, sur nos réseaux sociaux, dans la gazette etc. Ce partage d’information a permis aux habitants de suivre le projet de très près. Mais c’est surtout les deux chantiers de défrichage des parcelles qui ont été un moment important d’appropriation du projet par les Alréens. Environ 150 personnes bénévoles sont venues au total pour les deux événements, même des habitants des communes voisines.” Expliquent Myriam et Charlotte. Cela montre l’appropriation des communs par les habitants, le développement de la solidarité, de l’entraide et de la conscience d’un bien collectif.

Un projet pour sensibiliser à l’alimentation durable

“L’acquisition de la ferme étant faite, on va pouvoir maintenant travailler avec les habitants tout l’aspect pédagogique, tout ce qui a attrait à la sensibilisation de l’alimentation durable. Nous organisons aussi une semaine de l’alimentation durable au printemps où nous faisons venir des maraîchers dans les écoles et les centres de loisir, on travaille sur le gaspillage etc.”

Gérer les manques et les pics de production selon les saisons

La cuisine centrale a été calibrée pour pouvoir absorber les pics de production, elle est équipée de matériel de congélation, de conserverie etc. Par exemple, les tomates qui poussent l’été seront mises en conserve ou surgelées pour les consommer l’hiver. Mais la livraison directe de repas n’est pas arrêtée l’été car bien que les écoles soient fermées, nous continuons d’approvisionner les centres de loisir.

Notre objectif est d’être le plus autonome possible en légumes, mais on sait qu’on ne pourra pas tout produire nous-même (on n’aura pas d’animaux, pas de céréales par exemple). On travaillera dans la mesure du possible en complémentarité avec les paysans du coin. Ça les a d’ailleurs beaucoup rassurés car ils avaient des craintes d’une éventuelle mise en concurrence sur le marché bio et local.

Des parcelles agricoles qui appartiennent à la commune mitoyenne

Une des particularités du projet est que les 4 hectares de terres agricoles et la ferme que nous avons achetés ne sont pas sur la commune d’Auray, mais sur celle de Brec’h, à 50 mètres d’Auray. La ville d’Auray est donc propriétaire exploitant des terres de Brec’h. Nous avons demandé aux élus de Brec’h s’ils voulaient mutualiser ce projet avec nous, mais ils ne se sont pas montrés particulièrement intéressés. Cela n’empêche qu’il faut qu’on réfléchisse à la manière d’intégrer les élus et habitants de Brec’h au projet, au moins pour créer un dialogue. D’autant plus qu’une partie des enfants de Brec’h vont dans les écoles d’Auray (environs 70).

Quelles sont les prochaines étapes en lien avec les habitants ?

Maintenant que le scénario de la cuisine centrale a été validé, que la ferme a été achetée, on va pouvoir intégrer les habitants usagers dans ce projet alimentation durable. Ce n’est pas qu’un projet de cantine bio et locale, cela permet du même coup de faire de la pédagogie autour des thématiques de l’alimentation, de l’environnement, de la solidarité, etc. Nous avons appelé des habitants à venir rejoindre le groupe de travail “alimentation durable” dès mi-janvier 2023 pour travailler sur l’ingénierie pédagogique du projet, le déroulé, les questions de solidarité, la tarification des repas, etc. Ils pourront également participer individuellement au projet concrètement sur le terrain (maraîchage, cuisine, semis etc).

Récapitulatif du calendrier

Conclusion

L’élaboration de cette cantine communale, du champ à l’assiette, permet de travailler concrètement tout un panel de questions liées à la citoyenneté : comment gouverner localement en transversalité et de manière plus horizontale : avec les habitants, les associations, entre délégations et adjointures (scolaire, agriculture) et éventuellement à l’avenir, petit à petit, embarquer les communes mitoyennes dans l’aventure… Les élus, les agents et les habitants cultivent leur jardin pour changer les cultures politiques !

 

Rédaction issue d’une interview avec Myriam Devingt, 6e adjointe à l’éducation, l’enfance et la jeunesse et Charlotte NORMAND, conseillère municipale déléguée à l’alimentation de la Ville d’Auray .

Cet article a été écrit par Ondine BAUDON.

 

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