
Les grands enseignements de notre rapport sur les communes participatives
13 mai 2025
« Prendre le pouvoir pour le partager » - Un rapport inédit de cinq années de démocratie locale réinventée, portée par les listes citoyennes et communes participatives.
Une démocratie locale, vivante, partagée et transformatrice est à l’oeuvre dans 66 communes françaises
En 2020, 66 communes en France ont élu des Listes Citoyennes Participatives (LCP), issues de collectifs d’habitant·es sans étiquette partisane. Le rapport Prendre le pouvoir pour le partager, publié par la coopérative Fréquence Commune, revient sur cinq ans d’expérience dans ces communes qui ont fait le pari de réinventer la démocratie locale.
Ce rapport de 290 pages, fruit de plus d’un an d’enquête, de plus de 100 entretiens individuels dans 21 communes participatives, documente les pratiques, défis et réussites de communes qui partagent une ambition forte : associer les habitant·es aux décisions, transformer la manière de gouverner, féministiser la politique et reprendre la main sur les ressources locales. Assemblées citoyennes décisionnaires, conseils municipaux élargis à des non-élu·es, réorganisations internes plus horizontales, décisions collectives sur la fiscalité locale, l’aménagement urbain ou encore la sécurité alimentaire : autant d’expérimentations concrètes, parfois radicales, dont ce rapport tire les enseignements sans en occulter les échecs, les limites ni les tensions rencontrées.
« Une commune participative, c’est la contre-culture de la culture du chef. » – une élue
Ce rapport est écrit par Élisabeth Dau, spécialiste des dynamiques démocratiques locales et du municipalisme depuis 15 ans, Léa Legras et Cléa Fache, toutes deux chargées d’étude au sein de la coopérative Fréquence Commune. Ces dernières ont co-fondé le projet Climate Change – Commons and Radical Democracy in Europe, un tour d’Europe de 4 mois pour aller à la rencontre d’acteur·rices sur la démocratie locale et les communs.
Ce que le rapport montre : une transformation concrète est possible
Ce que montre le rapport, c’est que c’est possible. Il est possible pour des habitant·es de reprendre une mairie sans être des professionnel·les de la politique, et de gouverner autrement, collectivement, en associant largement les habitant·es à la décision publique. Ces communes montrent que le partage du pouvoir est source de qualité et d’efficacité pour l’action publique.
● Les communes de ces élu·es non professionnel·les de la politique ne se sont pas écroulées, au contraire. Elles ont même parfois porté plus haut et concrétisé davantage les ambitions de transition démocratique, écologique et de justice sociale.
● Ces communes ont permis un certain renouvellement des profils des élu·es : 39,1 % de femmes têtes de liste dans les LCP contre 23 % en moyenne ; des candidat·es plus jeunes, des fonctions mieux réparties entre les femmes et les hommes élu·es.
● Ces communes résonnent en politique du proche, de « démocratie et d’humilité radicales », faisant du bien-être de leurs habitant·es la priorité, loin des jeux de la politique politicienne. Elles ne prônent pas des grands projets « bling bling », mais une transformation durable des institutions locales, jusque dans les services municipaux.
● Ces élu·es exercent leur fonction avec responsabilité et exigence, malgré un mandat sous fortes turbulences. Réparer la démocratie requiert du temps, des moyens, des compétences, de l’énergie. Ces communes se heurtent aussi à un cadre institutionnel contraignant, inadapté voire hostile à des pratiques de co-décision.
Mais l’expérience a aussi ses limites. Les communes participatives manquent encore de diversité sociale, leurs élu·es sont confronté·es au risque d’épuisement et elles sont souvent marginalisées dans les intercommunalités. Le temps long nécessaire à la construction d’une gouvernance partagée est un défi dans un système institutionnel peuadapté et confronté à de multiples crises sociale, écologique, économique et démocratique.
Des territoires en résistance et qui prennent soin
Ces communes sont des digues démocratiques dans un contexte de montée de l’extrême droite, de précarité et de violences politiques. Elles féministisent et dépatriarcalisent le pouvoir, valorisent la coopération, prennent soin des collectifs, et redonnent espoir à une démocratie affaiblie. Leurs politiques locales portent aussi une ambition écologique et sociale forte : réappropriation de lieux de cohésion sociale, de l’alimentation, des forêts, de l’économie locale ou encore de redirection écologique et d’adaptation au changement climatique. Par leur militantisme institutionnel, leur politique d’accueil inconditionnel, leur protection des libertés associatives et leur résistance discrète, elles sont autant de villes et villages refuges.
Élisabeth Dau : « Ces communes sont comme des étoiles qui crépitent sur la carte de France. Ce sont des villes sans peur, des foyers d’espoir dans une période de grande désillusion démocratique. »
Léa Legras : « Ces expérimentations permettent de sortir du sentiment d’impuissance et de résignation. Face à l’autoritarisme, elles proposent un contre- projet solide et porteur d’espoirs. »
Cléa Fache : « On a besoin d’un renouveau politique, où faire de la politique ne rime plus avec domination. Aujourd’hui, le pouvoir est entre les mains de quelques-uns qui détruisent le vivant et s’accaparent les richesses. Les communes participatives montrent qu’on peut faire autrement, plus humblement, collectivement, et que ça marche. Tout le monde est légitime à décider localement. Comme le dit si bien une des personnes que nous avons rencontrées : “Si tu ne t’occupes pas de la politique, c’est la politique qui s’occupera de toi”. »
Des exemples concrets de transformation
● Castanet-Tolosan (Haute-Garonne, 14 903 habitant·es) : ici, la gouvernance municipale est pleinement horizontale. Les 25 élu·es de la majorité ont tous·tes des responsabilités, sans hiérarchie entre adjoint·es et conseiller·ères. Le bureau des adjoint·es a été supprimé pour favoriser une décision collective fondée surl’explication et la transparence.
● Vaour (Tarn, 328 habitant·es) : un village où les décisions sont prises au sein d’un « groupe de coordination » composé de 9 élu·es et de 11 non élu·es, référent·es des commissions thématiques mandaté·es pour un an renouvelable. Un exemple de gouvernance partagée au cœur de l’institution municipale qui inclut directement des habitant·es non élu·es dans la prise de décision.
● Auray (Morbihan, 14 222 habitant·es) : à l’échelle d’un mandat, la commune a réorganisé et relocalisé la chaîne de production agricole et alimentaire au bénéfice des cantines scolaires, pilotée en lien étroit avec les habitant·es, parents d’élèves, paysan·nes locaux·les, agent·es de cantines et territoires alentour, pour garantir qualité, durabilité et souveraineté alimentaire locale.
● Poitiers (Vienne, 90 240 habitant·es) : la Ville de Poitiers a expérimenté une démarche d’assemblée citoyenne décisionnaire inédite à cette échelle en France. Constituée via tirage au sort sur cadastre et mobilisations citoyennes, cette instance a été intégrée au cœur du fonctionnement municipal. Elle permet aux habitant·es d’élaborer et d’orienter directement les politiques publiques dans un cadre structuré. Cette innovation démocratique s’est accompagnée d’une refonte des relations entre élu·es, agent·es, habitant·es, acteur·rices économiques et organisations de la société civile.
● Penne (Tarn, 592 habitant·es) : le domaine de Fontbonne, désormais propriété communale, est devenu un lieu de cohésion sociale et territoriale — mêlant accueil artistique et culturel, accès à la nature et à la forêt, centre de loisirs pour les enfants, habitats légers et intergénérationnels, économie et artisanat — à la suite d’un travail de co-construction entre élu·es, agent·es et habitant·es. Une association d’habitant·es a pris en main la gestion et l’animation du lieu en attendant la fin des travaux.
● Nantes (Loire-Atlantique, 323 204 habitant·es) : premier fournisseur associatif local né d’un mouvement municipaliste, Énergie de Nantes fait de l’énergie un commun, en produisant et en fournissant de l’énergie locale et renouvelable à sesusager·ères, en prenant soin de son moulin à eau, en proposant un tarif solidaire décidé en assemblée et en soutenant les personnes en précarité énergétique.
● Syndicat de la Montagne Limousine (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne) : les habitant·es d’un territoire s’unissent pour protéger les forêts, lutter contre le modèle forestier industriel et proposer des alternatives sur le territoire. Outil collectif de lutte, de synergies, d’élaboration et de construction de solutions, le Syndicat facilite l’auto-organisation de ses membres et donne de la puissance à leurs actions sur une pluralité de thématiques : le logement, le grand âge, les exilé·es, les forêts,l’eau, l’agriculture, l’éducation, l’énergie, l’international, l’aide juridique, la mobilité, la solidarité et l’autonomie alimentaire, le soutien psychologique.
Féministiser la politique : une autre manière d’exercer le pouvoir
Le rapport met en lumière une ambition forte portée par de nombreuses communes participatives : féministiser la politique. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter la présence des femmes en politique, mais de transformer en profondeur les pratiques du pouvoir et de mettre en œuvre des politiques publiques qui réduisent les inégalités. Coopération,horizontalité, soin des individus et du collectif : ces principes guident une nouvelle manière de gouverner. En intégrant les personnes minorisées, en prenant en compte les inégalités systémiques et en valorisant des formes d’organisation non patriarcales, ces communes expérimentent une démocratie plus inclusive, plus juste et profondément transformatrice.
Reprendre la main sur les ressources locales
Dans le cadre de leur mandat électif ou au travers des collectifs — ayant porté les LCP au temps de la campagne ou non —, les communes participatives ont porté des ambitions de transformations écologiques, sociales et démocratiques durables sur leurs territoires pour répondre aux urgences plurielles. Y compris en agissant en dehors de l’institutionmunicipale, ces équipes élues et collectifs ont tenté de se réapproprier, de protéger et d’amplifier les bénéfices pour tous·tes des ressources de leurs territoires : alimentation locale, lieu de cohésion sociale, forêts préservées, communs énergétiques. Certaines communes ont aussi tenté de répondre aux enjeux de redirection de leurs territoires impactés par la crise écologique et le changement climatique. Elles ont ouvert les portes de l’institution publique aux habitant·es mais aussi essayé de soutenir ces formes d’organisation en dehors des murs de la mairie afin de conserver des lieux de contre-pouvoir et de possibilités, où peuvent se développer d’autres façons de faire, de penser de résister et de retrouver de l’autonomie.
Vers 2026, une dynamique qui s’amplifie !
Les communes participatives élues en 2020 souhaitent que leurs actions puissent trouver une continuité avec des équipes municipales renouvelées mais aussi qu’elles inspirent d’autres collectifs et listes dans d’autres territoires : un autre rapport au pouvoir est possible, plus juste, plus humble, plus collectif, plus joyeux.
À l’approche des prochaines municipales, 165 nouvelles LCP sont déjà en préparation et certainement bien d’autres dont nous n’avons pas connaissance. Ça n’est que le début !