Lundis en Commun #9 —Des listes participatives aux prochaines élections ?

14 octobre 2020

À la question posée aux collectifs et aux élu.e.s “Allez-vous présenter des listes participatives aux prochaines élections départementales et régionales?” la réponse est diverse à l’image de ce mouvement multiforme où chaque dynamique est ancrée au local dans sa commune avec des réalités et des contextes différents. Voici les différentes stratégies qu’elles envisagent.

Séminaire de l’Archipel citoyen (Toulouse) sur les prochaines étapes du mouvement.

Toulouse, Nantes, Chambéry, Rodez, Le Mans, Tresses, Brest, Montpellier, Saint-Médard-en-Jalles, Grenoble, Cherbourg, 34 élu.e.s et activistes membres de municipalités et d’assemblées locales participatives se sont retrouvé.e.s pour la 9ème édition des Lundis en Commun organisée par Action Commune. La dynamique de création d’un réseau des communes participatives alliant des dynamiques municipales et citoyennes continue !

Privilégier l’action locale

Certaines assemblées locales, comme celle de Nantes, imprégnées par le municipalisme, ont décidé de se concentrer uniquement sur l’action locale : “Il y a plein de choses qu’on avait mis dans notre programme que l’on peut faire dès maintenant, même sans avoir gagné !” raconte Damien Bastian de Nantes en Commun. “Ici, à Nantes, on va créer une alternative de fournisseur d’énergie écologique et citoyenne, une épicerie coopérative, un café associatif pour avoir un lieu commun, il y a aussi un groupe qui travaille sur la création d’assemblées populaires grâce aux méthodes de Saul Alinsky. On ne se déconnecte pas pour autant de la dynamique municipale : il y a un groupe qui suit toute la dynamique du conseil municipal, les délibérations, les projets en cours, pour créer de la transparence et de la mobilisation autour de ce qui se passe à la mairie. On a aussi mis en place toute une dynamique pour créer nos propres médias.”

Se fédérer pour les élections régionales

D’autres, issus des dynamiques de listes participatives lors des élections municipales de 2020, ont déjà fait le choix de se fédérer pour les élections sénatoriales et s’organisent maintenant pour les régionales. C’est le cas de “Savoie Citoyenne” qui rassemble différentes dynamiques de listes participatives qui se sont présentées aux élections municipales, et d’autres qui n’ont pas pu mettre en oeuvre de telles démarches, mais se sont senties inspirées par celles de leur voisines (Ex: Chambery, Bourg-St-Maurice) et ont eu envie de soutenir cette alternative pour les sénatoriales. “Pour nous ça permet de créer une nouvelle mobilisation”, raconte Stéphane Soulet, “continuer la dynamique pour ceux qui sont toujours déterminés à faire avancer la transformation démocratique, écologique et sociale et accueillir tous les nouveaux. Plein de gens ont entendu parler de nos listes participatives pour les municipales sans pouvoir y participer parce qu’ils n’habitaient pas dans les communes concernées. Avec les sénatoriales et les régionales, c’est toute la dynamique du territoire qui est en jeu. Il y a plein de gens qui habitent des toutes petites communes qui nous rejoignent pour proposer avec nous une autre manière de faire de la politiques, en impliquant directement les habitant.e.s dans le programme régional et en décidant ensemble qui seront nos élu.e.s régionaux.ales. Aujourd’hui on a un avantage : on s’inspire beaucoup de toutes les méthodes participatives qu’on a expérimenté pendant les municipales.”

Capture d’écran du débat en vidéo “les listes participatives aux prochaines élections ?”

Législatives et présidentielles

Globalement, peu d’interventions ont abordé le sujet de 2022 dans les échanges. Malgré tout, quelques personnes ont exprimé l’importance de cette échéance et la possibilité de contribuer à créer des rassemblements. Pour Denis, médecin urgentiste qui a participé au mouvement #Nous Sommes qui a présenté une liste citoyenne à Montpellier, “nous sommes très nombreux.ses à ne pas être d’accord avec ce qu’il se passe, il faut imaginer 2022 et aller au-delà des partis historiques et avec celles et ceux qui sont prêt.e.s à en sortir, il faut aller vers des dynamiques de rassemblements.” La question c’est aussi posée dans un groupe de travail : profiter des législatives pour pousser la création d’assemblées de circonscriptions organisées démocratiquement et ouvertes à tou.te.s les habitant.e.s pour permettre une co-décision directe, en direct avec son député. Ce n’est pas sans rappeler l’expérience du mouvement Ma Voix en 2017. Cependant, au vu du peu de prises de paroles en ce sens, le sujet des présidentielles ou des législatives semble clairement ne pas être la priorité pour les participant.e.s de cette conférence.

Revenir à sa “raison d’être”

Beaucoup de ces collectifs ont pris le temps de revenir à leur raison d’être : pourquoi est-on là ? Quels sont nos objectifs ? Ainsi, on retrouve une ligne commune, une homogénéité dans toutes ces dynamiques citoyennes : elles agissent pour transformer la démocratie afin d’avoir les leviers pour diminuer les inégalités sociales et pour lutter contre le changement climatique. Elles partagent également les modes d’actions : de l’élection à l’action directe (création d’un fournisseur d’énergie, d’une épicerie solidaire, actions de désobéissance civile, etc.).

Elles partagent également certaines façons de faire, Maxime le Texier a présenté les 4 conditions d’engagement dans d’autres processus électoraux que va porter l’Archipel Citoyen à Toulouse :

  1. L’élaboration d’une charte éthique des élu.e.s
  2. Un programme élaboré directement par les habitant.e.s
  3. L’organisation d’une démocratie interne où le pouvoir est réellement partagé avec la base du mouvement
  4. Une manière de composer la liste des candidat.e.s elle aussi démocratique loin des négociations habituelles d’appareils en allant chercher une grande diversité de personnalités.

Une fois ce constat partagé, les collectifs se retrouvent face à la réalité, et leur pragmatisme les oblige à trancher entre différents modes d’action pour ne pas s’éparpiller et concentrer leur énergie dans une stratégie claire et impactante. Tous se rejoignent sur l’importance de se laisser la liberté d’expérimenter, d’aller ou pas aux élections et de construire les espaces pour partager les doutes et ces nouvelles manières de faire de la politique.

Séminaire de l’Archipel citoyen (Toulouse) sur les prochaines étapes du mouvement.

A Toulouse, les membres de l’Archipel Citoyen qui ont perdu l’élection de quelques centaines de voix, en ont même étudié différents scénarios. “Après nous être recentrés sur notre raison d’être (redonner la parole aux exclus et du pouvoir aux citoyen.ne.s), on a établi 5 scénarios”, raconte Victoria Scampa :

  1. On organise une nouvelle liste complètement autonome pour les régionales ;
  2. On crée un ”label” Archipel Citoyen, on soutient une ou plusieurs dynamiques en leur apportant les méthodes participatives qu’on a expérimenté pendant la campagne ;
  3. On soutient en off en aidant à l’animation d’une ou de plusieurs listes ;
  4. On se concentre uniquement sur l’éducation populaire sur les élections régionales à Toulouse ;
  5. On ne se positionne pas pour les prochaines élections départementales/régionales, ce n’est pas notre combat et on prépare 2026”.

Dans la plupart des collectifs, on constate une analyse fine des possibilités d’action et une recherche constante de cohérence avec leur raison d’être. Beaucoup partagent une vision de grande pluralité des modes d’actions et l’importance de la stratégie d’infiltration : aller faire de l’entrisme dans les institutions supra municipales.

Avec ou sans les partis politiques ?

La place des partis politiques dans les campagnes électorales a aussi été débattue pendant les ateliers. Après avoir expérimenté pour certains la cohabitation avec les partis politiques lors des campagnes municipales, un constat semble émerger sur la difficulté de travailler avec les membres de partis et une grande méfiance sur leur capacité d’entrisme au sein des mouvements citoyens. “C’est très difficile de jouer le rôle d’animateur entre les membres des partis et les citoyens non encartés.” confie Victoria de l’Archipel Citoyen à Toulouse. Ludovic Mandy, qui a participé à une dynamique similaire au Mans fait le même constat : “Travailler avec les partis c’est super compliqué, c’est très formateur parce qu’ils ont une grosse expérience des campagnes électorales mais à la fin on se rend compte que l’avancée démocratique est plus que négligeable et on se demande si on a vraiment fait avancer les choses.” Fred Bourgeois de Chambéry voit de son côté une vraie espérance sur la transformation de la manière de faire de la politique qui pour lui est contagieuse : “On voit que ça prend même dans les partis : ils se réapproprient nos méthodes et commencent à les appliquer dans leur fonctionnement”.

Pour Damien Bastian de Nantes en Commun, ce sont des dynamiques complémentaires : “Moi je suis militant de la France Insoumise, je pense que les partis ont toute leur place aux échelles plus grandes, ce sont eux qui ont la force de frappe pour faire avancer les choses et pousser nos idées au niveau national. En revanche, je me sens profondément municipaliste et de ce point de vue là, notre rôle prend place dans les communes, à l’échelle locale. Mais pour moi, les deux ne sont pas incompatibles.”
Une fois de plus on constate la richesse de la pluralité des approches de ce réseau des communes participatives, de ces collectifs, autonomes, mais reliés les uns aux autres. On voit petit à petit se dessiner une forme d’organisation en réseau complètement nouvelle qui fonctionne sans coordination nationale, sous la forme d’archipel. La tentation de revenir à des formes classiques d’organisation avec une coordination nationale va être constante et cela va demander une grande capacité de lâcher prise à tous les membres et notamment pour les têtes de réseaux.

Conclusions

Les collectifs qui ont créé des listes participatives aux municipales s’organisent dans leurs villes et leurs villages. Ceux qui ont gagné les élections accompagnent leurs nouveaux élu.e.s, novices en politique qui découvrent le fonctionnement de la machine institutionnelle, et structurent une base de soutien citoyen pour les aider à mettre en place des dynamiques de démocratie locale radicale, comme les assemblées citoyennes permanentes. Et de leur côté, ceux qui ont perdu s’organisent pour continuer à mobiliser largement les habitant.e.s afin de recréer du lien social et du pouvoir d’agir en remettant la démocratie au coeur des préoccupations, face à un fonctionnement institutionnel qui en fait complètement abstraction. Tous se rejoignent sur l’importance de créer un réseau et de continuer les partages d’expériences.

La question qui se pose maintenant est : jusqu’où pousser cette mise en réseau, est-ce que les élu.e.s et les habitant.e.s membres de ces dynamiques participatives sont prêt.e.s à pousser la dynamique, voire même jusqu’à une confédération des communes libres ? Ces réponses s’inventent dès aujourd’hui et seront à l’agenda des prochaines rencontres du réseau, rendez-vous au printemps prochain !

Retrouvez l’intégralité du débat en vidéo sur la page d’Action Commune