Tuto Assemblée Citoyenne, par Jonathan Durand Folco

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26 janvier 2022

Lors d'une conférence en ligne organisée par Fréquence Commune en décembre 2021, Jonathan Durand Folco - auteur du traité "A nous la ville ! " et professeur à l'École d'Innovation Sociale de l'Université d'Ottawa, Canada - présente des éléments de méthodologie pour mettre en place une Assemblée Citoyenne dans sa commune.

1) Définir la « raison d’être » de votre Assemblée

Il est important de définir dès le début le genre de projets et d’enjeux dont va traiter votre Assemblée. Elle doit avoir sa propre raison d’être qui guidera son fonctionnement. Les différentes typologies des assemblées constituent des bases qui peuvent vous être utiles pour définir la raison d’être de votre Assemblée.

Les sujets dont l’Assemblée s’emparent doivent rester des sujets concrets, la démocratie ne doit pas être qu’au service d’une réflexion sémantique qui n’aurait pas d’impact sur la vie des gens, cela risquerait de décourager les participants. Il faut que les participants sachent pourquoi ils viennent, à quoi cela va servir concrètement de s’impliquer dans l’Assemblée.

Les Assemblées doivent être conçues comme des expérimentations, les règles peuvent donc évoluer à travers le temps, être réajustées en fonction du réel.

Étant donné la complexité de la tâche, vous pouvez choisir de construire les principes de fonctionnement de l’Assemblée directement avec les habitants comme l’a fait la municipalité de Poitiers avec son Assemblée de Préfiguration (lien). Cela permet de favoriser une appropriation de l’Assemblée par les habitants, de réduire la défiance envers les institutions et d’améliorer significativement la qualité de la proposition de fonctionnement. Cette Assemblée a été construite par et pour les gens qui vivent sur le territoire.

« Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi » Nelson Mandela / Gandhi.

2) La composition de votre Assemblée

Qui souhaitez-vous réunir dans ces espaces ? Quels secteurs sociaux voulez-vous mobiliser ? Des représentants de la société civile ? Des « groupes d’appartenance » ? Des groupes de citoyens déjà organisés (associations, comités de quartiers etc) ? Des syndicats ou des patronats ? Ou peut-être souhaitez-vous ouvrir cette Assemblée à tous ?

Il est important de penser en amont aux catégories de population qui composeront votre Assemblée car si vous laissez les gens venir d’eux-mêmes, sans analyse et sans mobilisation de votre part, vous vous retrouverez exclusivement avec des individus déjà conscientisés par la participation citoyenne.

Si vous voulez aller chercher une diversité de groupe plus représentative, il va falloir mettre en place des méthodes de recrutement ciblées ou le tirage au sort sur diverses catégories de la population.

Un peu de théorie

En 2008, Archon Fung (professeur de citoyenneté et de démocratie à l’Université Harvard) fait une classification des différents profils de participants.

3) Le niveau de décision de l’Assemblée

Après avoir défini le type d’Assemblée que vous voulez mettre en place (Assemblée décisionnaire, consultative, délibérative, etc). Il faut définir le niveau de pouvoir que vous voulez attribuer à cette Assemblée.

La participation n’est pas quelque chose de binaire : « c’est participatif » ou « ça n’est pas participatif ». Il y a de nombreuses nuances entre les deux, qui sont représentées par différents niveaux d’une échelle par la sociologue Sherry Arnstein .

Un peu de théorie :

L’échelle de la participation citoyenne de Arnstein

Cette échelle va de « la manipulation » au « contrôle citoyen ». Les premiers niveaux représente la « non participation », les niveaux intermédiaire représentent la « participation symbolique » : une certaine partie de pouvoir de la commune va être déléguée aux citoyens, et les niveaux le plus haut de l’échelle représente le « pouvoir citoyen » où le travail avec les habitants relève du partenariat et de la co-gestion.

Un peu de théorie :
Archon Fung théorise également les différents niveaux d’implication des citoyens
De gauche à droite du graphique :
  • Tout à gauche, les citoyens sont de simples spectateurs, ils peuvent éventuellement poser des questions
  • Les citoyens peuvent exprimer des préférences, des idées, des options, des suggestions mais il n’y a pas d’espace prévu pour étudier et élaborer ces idées
  • Les citoyens s’organisent en ateliers, font de l’urbanisme populaire pour mettre en réflexion et en construction leurs idées. Cela va permettre de formaliser certains projets qui seront amenés comme des propositions dans les instances décisionnaires

Plus on se déplace vers la droite du tableau plus on va vers des formes de négociation où les citoyens auront une influence croissante sur la décision, sans pour autant qu’il n’y ait de délibération décisive

  • Tout à droite, des espaces sont mis en place pour faire émerger des discussions et décisions collectives
  • Pour aller encore plus loin, il est aussi possible d’imaginer que les habitants puissent suivre et participer techniquement à la mise en place de leurs décisions.
On voit donc de nombreuses nuances entre « le citoyen ne participe pas du tout » à « le citoyen a 100% du pouvoir de décision ». A vous de placer le curseur !

4) Attribuer des niveaux de pouvoir aux acteurs de votre Assemblée

Par exemple, en tant qu’élu, vous avez peut-être une autorité directe pour gérer le budget de votre Assemblée mais sur d’autres types d’enjeux vous aurez plutôt un pouvoir de co-gestion voire de de consultation. Il est important d’écrire dans un règlement intérieur le rôle et la légitimité de chacun en fonction de l’instance dans laquelle il se situe.
Un peu de théorie
Fung distingue cinq niveaux de pouvoir :
1) Le pouvoir personnel,
2) Le pouvoir de l’argumentation, qui permet d’avoir de l’influence sur les décisions publiques,
3) Le pouvoir par la consultation,
4) Un pouvoir de co gestion : partage du pouvoir entre les élus et les groupes citoyens,
5) Une autorité directe : les agents et élus exécutent les décisions qui auront été prises par l’Assemblée.
Encore une fois, il est primordial de définir les champs de compétences, les enjeux et les pouvoirs pour vos instances. Attention au manque de clarté qui risquerait de remettre en question la légitimité des acteurs !

5) Les techniques d’animation

La démocratie n’est pas consensuelle, et bien heureusement ! Pour animer des espaces de débat et de délibération, les techniques d’animation de l’intelligence collective sont in-dis-pen-sables. Elles permettent d’animer les débats de manière constructive et non violente, de révéler les différents points de vue, les désaccords, pour que la décision soit la plus éclairée, la plus juste et la plus adaptée possible.

Les Assemblées doivent être conçues comme un processus rythmé par diverses animations qui aboutit à la fin à une décision collective.

Vous pouvez trouver ici différents outils qui vous permettront d’animer vos séquences d’Assemblées :

Boîte à outils – Fréquence commune
Boîte à outils – Urbanisme participatif

6) Penser l’inclusion

Il faut être conscient des facteurs qui peuvent venir favoriser ou discriminer les acteurs de différents groupes.
Il existe deux types d’enjeux :

Les enjeux externes : pourquoi les gens ne rentrent pas dans cet espace de participation ?

  • manque de temps
  • mobilité complexe
  • enfants en bas âge, problèmes de garde
  • manque d’information

Les enjeux internes : au sein même de vos espaces de participation peuvent se reproduire des dynamiques de discrimination et d’exclusion  :

  • prise de parole inégale
  • injustices épistémiques (même si tout le monde parle avec un temps limité égal, tout le monde ne va pas être compris et accueilli de la même façon – différences de groupe social, de façon d’être, de manière de s’exprimer etc). Les techniques d’animation peuvent permettre d’atténuer ces différences.

De nombreuses pistes sont à imaginer pour dépasser les barrières à l’entrée de la participation :

  • compensation financière : dans la démocratie athénienne, un système de compensation financière avait été mis en place pour motiver de grandes assemblées citoyennes de 6 000 personnes. C’est aussi une reconnaissance du temps investi par les citoyens.
  • rembourser des frais de transport
  • organiser des repas collectifs, des temps conviviaux

Pour ne pas se retrouver avec un public essentiellement issu des catégories socio-professionnelles supérieures, il est important de penser cette inclusion car les personnes éloignées de ces dispositifs ne viendront pas d’elles-mêmes. Pour diversifier les publics, on peut :

  • travailler avec des associations ou des groupes identifiés qui mobilisent des catégories sociales éloignées
  • mettre en place un service de garde d’enfant à l’intérieur du dispositif
  • penser à l’accessibilité des personnes handicapées, ou encore à la barrière de la langue etc.

7) L’enjeu du numérique

La participation, en ligne ou en présentiel ? Ces deux types de participation ont chacun des avantages et des inconvénients.

La participation en présentiel permet une bien meilleure qualité d’échanges, de discussion et de délibération. Elle permet aussi des temps d’échange informels (pauses, repas partagés, temps conviviaux). C’est temps sont très important pour créer un groupe et c’est souvent à ce moment là que les bonnes idées arrivent.

Si on réfléchit à la transformation de la démocratie à grande échelle, la participation en ligne permet de mobiliser plus de gens car il n’y a pas de temps ni de coût de transport, il n’est pas nécessaire de réserver un lieu, etc. Cependant, la vidéo ne permet pas, ou mal, d’interpréter le langage non verbal.

Même si notre avenir nous mène vers des méthodes de travail de plus en plus virtuelles, les temps en présentiel ne sont pas à négliger, ils favorisent le lien social, le sentiment d’appartenance, des échanges démocratiques bien plus qualitatifs. Les méthodes peuvent être hybrides et conçues des va-et-vient entre des temps d’échanges en grand groupe en présentiel et en petits groupes thématiques en ligne. La démocratie participative peut se penser de manière hybride entre le numérique et le présentiel. Cela dépendra de votre type d’Assemblée, du contexte de la commune etc.

8) Mais au juste, pourquoi veut-on faire participer les citoyens ?

La participation des habitants permet d’améliorer la gestion d’un territoire, de moderniser l’administration locale : rôle des usagers, visée d’efficacité, réactivité etc.

La transformation des rapports sociaux : favoriser le lien social, l’inclusion, développer le « capital social », encourager la capacité d’agir des groupes dominés etc.

Étendre la démocratie : améliorer les liens gouvernants/gouvernés, mobilisation citoyenne, expérimenter des formes de démocratie directe.

9) Pour conclure

  • Il est primordial de définir la finalité et les champs d’intervention de votre Assemblée : à quoi elle sert, quelles sont ses fonctions, ses pouvoirs ?
  • Préciser les axes : qui va participer, comment on va délibérer ? Avec quel niveau de pouvoir ? Quels sujets y seront travaillés ? (si possible un sujet concret pour attirer les gens)
  • Prendre en considération les obstacles à la participation et solutions pour chaque problème identifié ou rencontré
  • Prendre en considération les enjeux numériques (en ligne, en présentiel ? hybride ? : trouver le bon dosage)

Osez l’expérimentation et les tâtonnements !

N’ayez pas peur de définir à l’avance ces paramètres et de rapidement les tester sur le terrain avec les habitants. Concevez la démocratie comme un processus d’expérimentation. Vous pourrez toujours revenir pour modifier les réglages afin d’ajuster votre instance de manière plus fidèle possible à vos ambitions et aux réalités du terrain. Avant de parvenir à l’Assemblée « idéale », vous passerez sûrement par une assemblée imparfaite, une Assemblée « assez bien ». Pas besoin de viser l’excellence dans un premier temps. Faites un test, une première étape et évaluez ce qui a bien/moins bien marché, qui a participé ou non. Si vous pouvez vous faire accompagner par des animateurs professionnels pour lancer l’Assemblée ou par des chercheurs universitaires, cela peut vous faire gagner du temps.