Repenser les conseils de quartier dans une mairie participative
21 juillet 2021
Le 23 juin 2021, le conseil municipal de Sainte-Luce-sur-Loire a adopté la charte des futurs conseils de quartier de la ville. La proposition soumise au conseil municipal a été co-construite par un groupe de travail de 14 personnes, composé d’élu‧e‧s et d’habitant·e‧s de la ville.
De gauche à droite : Catherine Corbes (première adjointe), Angeline Garcia Tessier (habitante tirée au sort) et le maire Anthony Descloziers.
En raison de la situation sanitaire, les trois sessions de travail (conduites de mars à mai 2021), ainsi que les séances inter-sessions, se sont déroulées à distance. Malgré ces conditions, les membres du groupe ont été assidus et mobilisés tout au long de ce processus de co-construction.
La ville de Sainte-Luce-sur-Loire a confié l’animation de ces travaux à la coopérative Fréquence Commune. Un véritable enjeu tant ces « Conseils de quartiers » et « Conseils citoyens » ont été critiqués pour leur difficulté à mobiliser les publics déjà éloignés de la sphère politique, à constituer des espaces de co-construction entre élus et citoyens et à impacter la décision politique.
Nous souhaitons dans cet article raconter ce processus avec une interview de deux membres du groupe de travail chargé de co-construire la charte des conseils de quartier de la ville.
Entretien avec Catherine Corbes et Angeline Garcia-Tessier
Angeline Garcia-Tessier, habitante et rapporteuse de la proposition devant le Conseil municipal.
Catherine Corbes, première adjointe en charge du dialogue citoyen, de la quotidienneté et de la tranquillité publique.
Pourquoi avoir fait le choix de mettre en place des conseils de quartier à Sainte-Luce sur Loire ?
Catherine Corbes (première adjointe) : Dans la commune il n’y avait pas de travail fait avec les habitant·es. Les projets étaient bouclés par des élu·e‧s avec des réunions publiques seulement informatives. Nous avions envie de travailler avec les habitant·e‧s, ce sont des personnes qui vivent la ville au quotidien et ont une expertise d’usage de leur quartier indispensable dans la construction des projets. Cela part aussi d’une envie de créer du lien dans les quartiers, que les gens se rencontrent, notamment les nouveaux habitants. La ville de Nantes nous a inspiré en faisant des concertations sur des projets. J’ai été en contact avec un élu de Nantes et j’ai fait des recherches sur des outils qui pouvaient correspondre à nos ambitions d’impliquer les habitant·es. Pendant les élections municipales, nous avions travaillé avec les habitant·es à l’écriture du programme, ce qui a finalement débouché sur la constitution d’une liste. Nous avons créé des groupes de travail pour définir une charte basée sur des valeurs communes. Les conseils de quartier étaient la première chose demandée par les habitant·es, avec le fait de pouvoir interpeller les élu·e‧s facilement.
Qu’est-ce que les conseils de quartiers apportent de spécifique à la vie démocratique locale ?
Angeline Garcia-Tessier (habitante tirée au sort) : Cela permet aux habitant·es d’avoir voix au chapitre, d’être plus proches des élu·e‧s, de leur dire ce qu’ils pensent. Pour ma part, cela m’a permis d’établir un lien de confiance avec les élu·e‧s. J’ai senti une volonté sincère venant des élu·e‧s de faciliter le dialogue avec les habitant·e‧s.
Pourquoi avoir confié l’écriture de la charte des futurs conseils de quartier à des habitant‧e‧s ?
Catherine Corbes : Ce sont les habitant·e‧s qui vont la faire vivre, pour cela, il faut qu’elle leur corresponde, qu’elle soit comprise et appropriée. Si nous, élu·e‧s, l’avions écrite seuls, nous l’aurions fait à partir d’éléments de notre programme et selon le chemin de pensée de quelques-uns seulement.
Comment s’est organisé la composition et la mobilisation du groupe de travail ?
Catherine : Nous avons fait un appel à candidature auprès des habitant·e‧s, avec le choix que ce groupe de travail soit paritaire entre hommes et femmes comme c’est la cas dans notre liste d’élu·e·s. Nous avions aussi la volonté que tous les quartiers soient représentés (4 secteurs). C’est sur ces deux critères qu’a été fait le tirage au sort.
Angeline : Le groupe de travail est donc constitué de 14 personnes : 10 citoyen‧ne‧s tirées au sort (parité h/f), deux membres d’associations (parité h/f) et de 2 élu·e·s (parité h/f). Sur 14 citoyen‧ne‧s tiré·es au sort, deux ne sont pas dans le groupe de travail mais sont destinataires de tous les documents du groupe. Les élu·es minoritaires sont également inclus dans le processus mais personne n’est jamais venu participer. Pour l’ensemble du groupe il y a eu une forte assiduité. Nous avons travaillé sur trois samedis avec Thomas et Mathilde de Fréquence Commune et ensuite nous avons eu des temps en petits groupes (2 à 3 personnes) entre les 3 sessions plénières.
Angeline : J’ai vu dans le Journal de Saint-Luce et sur les réseaux sociaux l’appel à candidature. J’avais besoin d’avoir de nouveaux challenges maintenant que mes enfants commencent à grandir. C’était une nouvelle expérience pour moi, dans un domaine que je ne connaissais pas du tout. Je ne m’attendais pas à ce que des habitant·es tirés au sort comme moi, co-construisent la charte de fonctionnement de l’instance ! Je croyais que tout était déjà pensé. J’ai trouvé ça très intéressant qu’on nous inclue dans la construction de cette instance, qu’on puisse s’exprimer sans passer par un vote [toutes les décisions du groupe de travail ont été prises par consentement, ndlr].
Comment avez-vous vécu ce processus de co-construction ?
Catherine : Je connaissais déjà un peu ce type de méthodes dans le cadre professionnel, mais aussi lors de la campagne municipale, comme la décision par consentement. Pour la construction de cette charte des conseils de quartier, il m’importait que tout le monde puisse s’exprimer et que personne ne soit laissé de côté. J’ai été impressionnée par le travail qu’on a réussi à faire avec les formateurs.
Angeline : Nous avons utilisé des méthodes d’intelligence collective que je ne connaissais pas mais qui vont vraiment me servir par la suite. Au début je ressentais un malaise et j’avais peur de ne pas pouvoir participer, je sentais un décalage aussi avec le vocabulaire utilisé. Mais avec les tours de parole, on se rend compte que tout le monde est légitime à participer. Je travaille dans une école et ça m’intéresse beaucoup d’avoir ces méthodes de prise de décision basées sur l’écoute de chacun.
Selon vous, quel est le rôle de l’élu·e dans ces ateliers de co-construction ?
Catherine : Les élu·e·s jouent un rôle de garants de la méthode, ils veillent au respect des valeurs et la ligne de notre programme.
Selon vous, qu’est-ce qui a permis au processus de réussir ?
Catherine : L’écoute, implication, la bonne humeur et la méthode.
Angeline : Le respect et l’écoute du groupe.
La proposition de charte a été présentée à l’ensemble de l’équipe municipale majoritaire au cours d’une journée de formation-action animée par Fréquence Commune. Comment avez-vous vécu cette journée ?
Catherine : J’attendais beaucoup de cette journée parce que je n’avais pas l’impression que le groupe majoritaire portait ces choses, même si cela faisait partie du programme. Quand les habitant·es sont venus co-construire la charte de fonctionnement avec nous, les élu·e‧s ont pris conscience de la pertinence d’impliquer les habitant‧e‧s dans cette démarche. C’est une journée qui a bousculé positivement tout le monde et qui a questionné intelligemment le rapport au pouvoir des élu·e‧s.
Angeline : Ce travail a permis aux élu·e‧s de se rendre compte de ce qu’un·e habitant·e peut faire dans le cadre de ce conseil de quartier, qu’il est légitime et très utile par son expertise d’usage. L’élu·e n’est pas le seul penseur de la ville ! Mais c’était également indispensable que les habitant·e‧s participent à cette construction pour qu’ils puissent s’approprier la charte et s’impliquer sur le long terme.
Comment ont été vécus le conseil municipal et la conférence de presse pour présenter le processus et le contenu de la charte ?
Catherine : La charte des conseils de quartiers était le premier point à l’ordre du jour du conseil municipal. J’ai beaucoup pensé à Angeline, car j’ai trouvé que les interventions des élu·e‧s d’opposition pouvaient être violentes face à la démarche. Le défi est de dépasser une vision de la politique à l’ancienne : on a été élu·e, du coup on décide et tout le monde suit. L’idée ici c’est de construire et de faire avec les habitant·es, dans un cadre défini avec des ambitions communes, ce qui permet que le jeu politique s’efface au profit du bien commun.
Angeline : Le groupe que nous avons constitué reste en dehors du jeu politique. C’est simplement un groupe de personnes qui ont envie de faire avancer leur ville, en dehors de toute stratégie politique.
Sur quels points allez-vous rester vigilants ?
Catherine : Le groupe est composé de personnes très hétérogènes, qui ont des approches différentes. C’est une richesse, mais il faut bien poser le cadre non négociable pour ne pas partir dans des projets qui seraient contraires aux valeurs de la charte qu’on a construite.
Angeline : Il faut prendre soin de la confiance réciproque entre les élu·es et les habitant·es. Il faut sortir de cette suspicion entre élu·e‧s et habitant·e‧s. Il faut avoir confiance en la démarche et respecter le cadre de fonctionnement qu’on s’est imposé.
Quelle est la suite pour vous ?
Catherine : En tant qu’élu·e‧s, le plus dur reste à faire : dans l’enthousiasme du début, le groupe s’est engagé à porter cette démarche. Mais il va falloir soutenir cette énergie sur le long terme. C’est pour cela que nous organisons un temps convivial avec le groupe début septembre, pour remobiliser après les vacances. Dans le groupe d’élu·e‧s, il va falloir qu’on se mobilise régulièrement pour qu’un binôme élu·e/habitant·e soit sur le terrain à chaque manifestation de quartier.
Angeline : Le processus de co-construction se met maintenant en place de manière très concrète. Les binômes élu·e/habitant·e devront régulièrement se mobiliser pour que le travail de terrain soit dynamique et efficace. Nous devons continuer à nous investir dans cette démarche pour montrer plus largement aux habitant·e‧s qu’ils peuvent s’investir facilement sur des projets qui concernent leur quartier.
Comment ces conseils de quartier s’inscrivent dans une démarche plus globale de participation ?
Catherine : Ces conseils de quartier font partie d’une démarche plus globale de volonté de faire participer les habitant‧e‧s. Tout d’abord, nous sommes dans une logique de politique hors des partis : ce ne sont pas les partis politiques qui guident notre programme, ce sont les habitant·e‧s eux mêmes qui l’ont écrit. Les élu·es ont posé les valeurs (humanistes, sociales et écologistes), mais ils ont laissé feuille blanche pour que les habitants proposent des projets pour leur quartier et fassent part de leur expertise sur les projets portés par la municipalité. En posant des bases claires, en utilisant la méthode de décision par consentement, la feuille de route du mandat était complètement ouverte.
Nous avons mis en place plusieurs choses sur la participation, autres que les conseils de quartier :
- Un bureau municipal tous les 15 jours avec tous les adjoints et éventuellement les délégué·es concerné·es par un sujet qui souhaitent venir.
- Une réunion du groupe majoritaire tous les 15 jours pour voter sur des sujets de fond.
- Pour préparer le conseil municipal, nous travaillons une proposition jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord.
- Nous avons aussi mis en place une instance dans une démarche prospective qui est le Comité Citoyen Lycéen. Ce Comité travaille à partir de thématiques métropolitaines ou de la ville où l’on peut se saisir d’un sujet de manière autonome et s’inscrire dans une réflexion et une démarche de temps long.
- Enfin nous avons mis en plus des Comités consultatifs qui sont des commissions spécifiques par thématique (mobilité, urbanisme, familles, antennes…) qui associent habitant·es, associations et élu·es (sur des problématiques de la métropole ou de la ville).
Angeline : Pour le moment ce processus m’a permis de connaître les élu·e‧s et de m’intéresser à ce qu’ils font, notamment grâce à la journée de formation dédiée aux élu·e‧s avec Fréquence Commune. Je me suis rendue compte que le travail d’élu n’est pas simple, qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Cela m’a ouvert les yeux sur le fonctionnement d’une commune et sur l’importance de l’implication des habitant·e‧s dans les décisions. En tant qu’habitant·e, on ne peut pas simplement se contenter de râler, on a le devoir de s’impliquer, de comprendre et de s’intéresser à la gestion de notre commune.