Raconter le terrain : accompagnement de Quimper

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16 octobre 2020

Quand Tristan Rechid, Mathilde Houzé et Fréquence Commune bousculent les pratiques d’une équipe municipale…

En juin 2020, à Quimper, ville de 65 500 habitants en Bretagne, une liste citoyenne issue d’une alliance entre le PS, le PC, EELV et composé à 50% de citoyen.ne.s non encarté.e.s a été élue au second tour avec 51,25% des voix.

À priori, cette liste nous a semblé plutôt classique, éloignée des dynamiques…

“Nous sommes ici simplement pour apporter des méthodes de travail et de décision en intelligence collective, mais gardez à l’esprit que c’est vous qui avez les solutions.” introduit le formateur Tristan Rechid.

À priori, cette liste nous a semblé plutôt classique, éloignée des dynamiques des listes participatives que nous avons suivi pendant la campagne de 2020, dont la particularité était d’être majoritairement issues de collectif d’habitants et non de partis politiques.

La capacité de la maire de Quimper, Isabelle Assih, à lâcher prise sur le processus de décision ainsi que l’impulsion de plusieurs élu.e.s et habitant.e.s, convaincu.e.s de l’importance de la transformation démocratique ont nourri la dynamique participative de cette liste maintenant au pouvoir. Quimper pourrait ainsi devenir une ville pionnière dans la transformation de la démocratie locale au service de l’écologie et de la justice sociale.

Une formation-action à la gouvernance partagée, appliqué au fonctionnement politique.

Introduction de la formation-action

L’équipe de Quimper a fait appel à deux formateur.trice.s (Tristan Rechid et Mathilde Houzé) pour mener à bien ce premier séminaire d’élu.e.s de deux jours. Thomas Simon, d’Action Commune nous raconte.

Tristan Rechid et Mathilde Houzé, formateur.trice en gouvernance partagée.

Après plusieurs aller-retour entre l’équipe municipale et les formateur.trice.s, le programme de cette formation sur mesure est bouclée.

La première journée commence par un mot d’Isabelle Assih pour introduire le séminaire. Tristan et Mathilde introduisent ensuite le programme du week-end en expliquant le principe d’une “formation-action” :

“Nous sommes ici simplement pour apporter des méthodes de travail et de décision en intelligence collective, mais gardez à l’esprit que c’est vous qui avez les solutions. On va travailler sur plusieurs problèmes très concrets que vous rencontrez en ce début de mandat. Vous pourrez dans les mois et les années à venir vous en inspirer et utiliser ces méthodes d’animation dans vos prochaines réunions entre élu.e.s avec les services et surtout avec les habitant.e.s.”

Tristan Rechid lors de la formation-action avec l’équipe municipale de Quimper.

Une fois les bases de l’approche “formation-action” posées, les deux animateur.trice.s proposent un “ cadre de sécurité” aux participants pour assurer les conditions nécessaires au bon fonctionnement en intelligence collective.

Exemples de proposition du cadre de sécurité.

Ensuite, les deux animateur.trice.s lancent le groupe d’élu.e.s sur plusieurs ateliers :

  • interconnaissance en petit groupe ;
  • émergence sur le schéma de gouvernance de la municipalité ;
  • débat sur l’installation d’un entrepôt Amazon ;
  • gestion par consentement sur le rôle du Bureau Municipal, etc.

FOCUS sur un moment fort de la formation : Désignation du binôme de président.e.s du groupe d’élu.e.s en employant la méthode de l’Élection sans candidat.

Dans le fonctionnement habituel d’un groupe d’élu.e.s majoritaires d’une municipalité, ces derniers choisissent un.e ou deux président.e.s de groupe. Leur rôle : être à l’écoute et en soutien des élu.e.s, veiller à la bonne entente et à la cohésion de l’équipe, faire le lien entre la maire et le cabinet sur les différents projets menés par les élu.e.s.

Il s’agit d’une décision hautement stratégique car la présidence de groupe est une position de pouvoir pour les personnes qui seront désignées. D’autant plus que l’équipe de Quimper a décidé de sélectionner les président.e.s pour toute la durée du mandat (6 ans).

Tristan explique pourquoi il est plus légitime de désigner le.la président.e du groupe d’élu.e.s par une élection sans candidat plutôt que par un traditionnel vote majoritaire.

“L’élection majoritaire est finalement peu démocratique car elle ne mobilise pas l’intelligence collective. Lorsqu’on désigne des représentants par vote majoritaire, on prend rarement le temps de définir leur rôle, leur mandat, les compétences nécessaires à leur fonction. Bien souvent, cela amène à des stratégies de copinage ou d’entente en amont. Souvent on ne prend même pas le temps d’en débattre. L’élection sans candidat permet de faire tout ce chemin ensemble avec les personnes concernées par l’élection”. Tristan Rechid, formateur.

Cette explication fait réagir quelques élu.e.s qui ont de fait été désigné.e.s par un vote majoritaire (fonctionnement actuel de l’élection municipale). Bien que la plupart des élu.e.s ne réagissent pas directement, certain.e.s sont choqué.e.s, d’autres en colère. C’est alors que madame la maire finit par interrompre la formation :

“Je m’excuse mais là, il faut que j’intervienne. Je n’étais pas au courant de ce changement de méthode”, elle se retourne vers son directeur de cabinet : “Avait-on convenu de cette manière de désigner les présidents de groupe dans le déroulé de la formation ?” interroge-t-elle.

Plusieurs élu.e.s expriment leur contrariété par rapport à cette méthode de désignation. Tristan reprend la main sur l’animation en tentant de rassurer les participant.e.s en leur proposant une alternative :

“Je vous propose d’essayer cette méthode de désignation que l’on utilise très régulièrement. Nous l’avons utilisé notamment pour désigner les têtes de listes de nombreuses listes municipales, comme à Saint-Médard-en-Jalles ou encore à Poitiers. Mais si cela vous inquiète trop, je vous propose de tenter l’aventure “pour du beurre” et si le processus et le résultat vous conviennent, alors vous pourrez décider d’entériner la décision. Êtes-vous vous partants pour tenter l’expérience ?”

… Murmures d’approbation des participants… Pas d’objections ! Madame la maire et le directeur de cabinet se laissent tenter : c’est parti !

Etape 1 de l’élection sans candidat : définition collective de la fonction du président de groupe, émergence des compétences et qualités humaines nécessaires, définition du mandat que lui donne le groupe.

Etape 2 : Premier tour de vote à bulletins ouverts. Chacun vote pour une personne.

Etape 3 : Tour de parole où chacun argumente son choix.

Etape 4 : Report de voix. Car oui, être capable de changer d’avis n’est pas une preuve de faiblesse mais d’intelligence 😉

Etape 5 : Tour d’objections. Si une objection est prononcée, le groupe essaye de la lever en proposant des améliorations à la proposition.

Etape 6 : Prise de parole de la personne désignée : accepte-t-elle finalement, après avoir amélioré la proposition de prendre ce rôle ?
(Pour en savoir plus sur la méthode de l’élection sans candidat, rendez-vous sur le site de l’Université Du Nous).

Résultats :

Yves Formentin-Mory, Conseiller municipal délégué à la démocratie participative et à la structuration des quartiers à la mairie de Quimper.

Le premier tour de vote plébiscite assez largement Yves Formentin-Mory, présent depuis le début, il connaît tout le monde, il est à l’écoute, il a le temps et les compétences pour remplir ce rôle.

Après avoir écouté les arguments de chacun sur son vote, Tristan commence le tour d’objection.

Claude Le Brun, adjoint de quartier à la mairie de Quimper.
C’est alors que Claude Le Brun, membre du parti EELV, pose une objection forte : Yves est membre du Parti Socialiste et la maire l’est aussi. Il exprime la peur d’un trop gros déséquilibre entre les forces politiques. C’est au tour de Tristan, le formateur, de prendre les prises de paroles les unes après les autres. Ces prises de paroles viennent petit à petit lever l’objection de Claude. Ces échanges permettent un vrai débat de fond, sur les prises de pouvoir politique. Chacun a pu exprimer ses doutes et ses craintes. Yves, le candidat initialement le plus plébiscité les a entendues et s’engage à la neutralité complète dans l’exercice. L’exercice permet de créer de la co-responsabilité et de la transparence, chacun pourra être garant de l’objection et de l’engagement de neutralité dans les années à venir en faisant référence à ce débat. L’objection est donc levée. Yves accepte le rôle, il est désigné premier président de groupe des élu.e.s majoritaires de Quimper.

C’est le second tour de désignation qui va créer la surprise ! Tristan relance les étapes pour désigner une seconde personne, en commençant par un tour de vote à bulletins ouverts. Une seule consigne est donnée : la parité. Chacun écrit un nom sur un post it et Tristan commence le tour de dépouillement. Une personne émerge de manière quasi unanime : Marie-Pierre Jean-Jacques. Tou.te.s lui reconnaissent des qualités et compétences au poste, très complémentaires avec celles d’Yves. Marie-Pierre est surprise, elle ne s’y attendait pas du tout. Elle est très émue. Les étapes s’enchaînent (argumentation des choix de chacun, tour d’objection). Aucune objection n’est exprimée. Tristan se retourne alors vers Marie-Pierre : “Comment te sens-tu ? Qu’est-ce que tu en penses ? Veux-tu être co présidente du groupe d’élu majoritaire de la ville de Quimper ?”

Marie-Pierre Jean-Jacques, conseillère municipale à la mairie de Quimper.

Très surprise par le plébiscite de sa personne, Marie-Pierre a les larmes aux yeux. Hésitante quant à sa capacité à tenir le poste, le groupe la soutient en lui inspirant confiance. Elle accepte. Applaudissement retentissants, sourires et accolades, la journée se termine sur cette magnifique surprise. Le fait de considérer cette élection comme un exercice “pour du beurre” n’est même pas abordé tellement le résultat convient désormais à tout le monde.

C’est ainsi, que dans la ville de Quimper, les élu.e.s de la mairie ont découvert et adopté un nouveau processus d’intelligence collective : l’élection sans candidats !

Célébration de cette première élection sans candidat.

Conclusion

Une fois de plus nous constatons la puissance de l’animation et des outils d’intelligence collective qui viennent transformer les pratiques politiques : partager le pouvoir, le mettre au centre et débattre collectivement des tensions, éviter le “copinage” politicien, créer de la transparence, éviter les prises de pouvoir de quelques-uns sur le reste du groupe, mettre les idées avant les égos. Conscient.e.s que les outils et des méthodes sont loin d’être la solution à tous les maux du fonctionnement politique actuel, force est de constater que l’animation exercée par des personnes formées et l’utilisation de ces méthodes de décision collective appliquée au champ politique transforme complètement les manières de faire, bouscule le fonctionnement représentatif et ouvre la porte à un fonctionnement radicalement plus démocratique.

Découvrez les témoignages des élu.e.s de Quimper.