Raconter le terrain : accompagnement de la commune de Saint-Senoux

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18 novembre 2020

La dynamique se lance en septembre 2019, à peine sept mois avant les élections municipales. Les personnes qui figurent sur la liste n’ont jamais été élues auparavant. Le jour des élections : c’est la surprise ! 51,60% des votant·e·s ont glissé le bulletin « Construisons Saint Senoux ensemble » dans l’urne : la liste l’emporte ! Le début d'une grande aventure sur la reconstruction de la démocratie locale commence alors.

Remporter les élections en n’ayant jamais été élu.e


Commune : Saint-Senoux
Nombre d’habitant·e·s : 1 840
Région : Bretagne

Comment les habitant·e·s de la liste participative de Saint-Senoux se sont-ils retrouvés à la Mairie ?

D’un fonctionnement précédent décrit comme « autocratique » est né le besoin, pour de nombreux habitant·e·s, d’animer la vie locale avec, par et pour les habitant·e·s.
La dynamique se lance en septembre 2019, à peine sept mois avant les élections municipales. La liste est déposée seulement quelques semaines avant le premier tour. Les personnes qui y figurent n’ont jamais été élues auparavant. Le jour des élections : c’est la surprise ! 51,60% des votant·e·s ont glissé le bulletin « Construisons Saint Senoux ensemble » dans l’urne : la liste l’emporte !

À l’occasion d’une formation donnée par Tristan Rechid, Solenne Boiziau (du Mouvement Utopia et co-fondatrice de Fréquence Commune) nous raconte.

Les deux objectifs de cette formation :

  • travailler le schéma de gouvernance de la mairie ;
  • animer un Comité de pilotage en intelligence collective.

Gouvernance partagée et convivialité sont au cœur de cette nouvelle équipe municipale qui démarre cette aventure avec de grandes ambitions !

Formation-action sur la gouvernance partagée au cœur de la Mairie à Saint-Senoux.

Pierre VICTOIRE, 41 ans, musicien trompettiste, Conseiller municipal à la délégation Relations aux citoyen·ne·s.

Pierre VICTOIRE, 41 ans, musicien trompettiste, Conseiller municipal à la délégation Relations aux citoyen·ne·s.

Qui es-tu et qu’est-ce qui t’a amené ici ?
Je faisais déjà partie de la SCIC « Baranoux ». Cette initiative a émergé pour faire vivre le bar-épicerie à Saint-Senoux suite au départ des personnes qui le tenaient. La gouvernance partagée est déjà au cœur de l’Economie Sociale et Solidaire. Mon engagement à Baranoux a déclenché mon engagement dans la campagne avec Antinéa pour monter une liste participative. Au début j’étais en retrait, avec une hésitation à m’engager pour un mandat de six ans : j’avais déjà une vie bien remplie ! Mon entrée s’est faite par étapes, car je ne cours pas après les responsabilités. C’est une très belle aventure que je ne regrette vraiment pas.

Pourquoi c’est important d’avoir un lieu comme le Baranoux dans un village ?
Ce lieu a été repris par un groupe d’habitant·e·s dont la première action a été de faire un sondage pour recueillir leurs besoins. Avoir un lieu où l’on puisse se rencontrer, avec une programmation culturelle et du lien intergénérationnel était une envie clairement exprimée par les villageoi·se·s. La forme juridique (SCIC) permet d’être viable économiquement car l’entreprise traditionnelle dans un petit village comme le notre avait du mal à vivre. Une SARL doit avoir une augmentation permanente de son chiffre d’affaire et toutes les impositions se réfèrent sur ce modèle. Avec une SCIC, les sociétaires peuvent être bénévoles le soir et le week-end. Ceci permet une amplitude d’ouverture horaire plus grande, avec une personne employée pour ouvrir en semaine.

Quelle est l’ambition de votre dynamique ?
Proposer une démocratie participative (même si c’est un pléonasme, car une démocratie est forcément participative). En bref, c’est d’inclure les habitant·e·s pour que chacun·e puisse donner son avis, amener des propositions et construire et élaborer avec eux·elles les projets de la commune (ex : réhabilitation de la salle communale). Il s’agit aussi de les consulter à propos des projets communaux (non pas les affaires courantes, gérées au quotidien par les agent·e·s en Mairie).
En fait, l’ambition c’est de remettre l’habitant.e dans son rôle de citoyen·ne pour que que la sphère politique et décisionnelle ne soit pas déconnectée des habitant·e·s.

Être élu.e ou encore sociétaire d’une SCIC… N’y a-t-il pas besoin de compétence pour faire tout cela ?
La seule compétence nécessaire pour être élu.e c’est d’avoir envie de s’engager pour l’intérêt général. Il y a les agent·e·s en Mairie qui ont les compétences pour répondre aux besoins (école, cantine, garderie, espaces verts, urbanisme, infrastructures, gestion de salles, etc…). Je pense que l’on devrait être encouragé à donner de son temps pour servir le bien commun, que ce soit en s’engageant dans une municipalité ou par un autre moyen.

Marion DARMAILLACQ, 34 ans, ludothécaire, déléguée à l’intergénérationnel dans la commission « Lien social et culturel ».

Marion DARMAILLACQ, 34 ans, ludothécaire, déléguée à l’intergénérationnel dans la commission « Lien social et culturel » lors de la formation-action.

Comment es-tu entrée dans cette aventure ?
En tant que citoyenne, la démocratie me parle beaucoup et j’ai très envie de récupérer un pouvoir d’agir sur notre quotidien. Pour moi ça commence au niveau local, là où j’habite. J’étais moi aussi investie dans le projet de SCIC « Baranoux », où nous avons vécu des difficultés avec les élu·e·s pour faire avancer ce projet.

Comment s’est passée la campagne ?
Avant même d’avoir une liste complète, nous avons suivi une formation avec Tristan Rechid pour construire un schéma de gouvernance. Nous voulions pouvoir exprimer aux habitant·e·s ce que “démocratie participative” signifie pour nous. Jusqu’au dernier moment, nous ne savions pas si nous allions gagner. Mais nous avons décidé de tenter l’expérience. C’est la dimension collective de cette aventure qui m’a donné envie d’y participer, pour vivre l’expérience du pouvoir de changer les choses, même si ce n’est qu’au niveau local.

Comment prends-tu ton rôle aujourd’hui?
Pour moi, être dans cette fonction d’élue c’est l’opportunité d’avoir des outils pour la comprendre. Le lien aux habitant·e·s est très important car nous sommes tou·te·s des habitant·e·s de Saint-Senoux. J’apprends en ce moment à lâcher prise sur la question de ma légitimité. Si les 3/4 de la population souhaite autre chose que ce dont j’ai envie, je vais les écouter. C’est ça pour moi le rôle d’élue. Il ne s’agit pas de servir mes propres intérêts, mais bien de servir l’intérêt général. Ça n’est pas toujours évident car on a des convictions et des valeurs fortes mais il ne faut pas oublier la partie de la population qui ne les partage pas forcément.

Quelle est la prochaine étape ?
Mon attente aujourd’hui est que l’on fonctionne de manière à ce que tout le monde puisse participer et trouver sa place. Aujourd’hui nous prenons nos fonctions et les habitant·e·s ne sont pas encore inclu·e·s, les élu·e·s de la minorité ne le sont pas assez non plus. Il faut changer nos façons de fonctionner et aller chercher les gens pour les encourager à s’exprimer.

Christophe THOMAS, 32 ans, traducteur et interprète en langue kurde, 3ème adjoint, Commission Urbanisme, Délégué aux Services techniques et prévention des risques.

Christophe THOMAS, 32 ans, 3ème adjoint, Commission Urbanisme, Délégué aux Services techniques et prévention des risques.

Qu’est-ce qui t’a amené ici ?
Je n’habite Saint-Senoux que depuis un an. Je me suis installé ici un peu par hasard, après des études en langue et littérature kurde à Paris. J’ai rejoint l’aventure à l’occasion d’une réunion publique, quelques semaines avant les élections. C’était pour moi l’occasion de passer à une mise en pratique de choses théoriques auxquelles j’avais beaucoup réfléchi. Ça collait avec mes idées politiques et me permettait d’expérimenter une autre façon de voir et faire les choses au niveau local.

Qu’est-ce qui te motive le plus dans cette aventure ?
Ce qui m’a plu c’est que les gens dans cette liste sont tous différents, même s’il y a beaucoup de professions libérales. Et le fait de n’avoir jamais été élu n’était pas un problème. Nous avons gagné à 22 voix près, il y a donc une bonne partie du village qui n’a pas voté pour nous. Pour moi le plus important c’est de faire avec les élu·e·s minoritaires et avec ceux·celles qui les ont soutenu. C’est ce qui va prendre le plus de temps mais on ne peut pas les balayer d’un revers de la main. On ne veut pas que tout le monde soit d’accord avec nous mais que chacun·e comprenne ce nouveau mode de gestion, beaucoup plus inclusif et qui pousse tout le monde à prendre des responsabilités.

Quels liens vois-tu entre ce que tu as observé ailleurs, notamment au Kurdistan* et ce que vous portez ici ?
Quand j’étais en Syrie, des responsables politiques kurdes disaient que le principal défi auquel ils faisaient face était de faire comprendre le système (inspiré du municipalisme libertaire) aux gens. Pour moi ce qu’on fait ici est aussi inspiré de ça et il y a une démarche éminemment municipaliste, même si seulement certain·e·s l’ont conscientisé : un mode d’organisation et de gestion locale. Ce qui se passe au Moyen-Orient, notamment au Kurdistan et ici, ce sont des contextes qui sont totalement différents. Mais on est animés par une même volonté qui est de redonner aux citoyen·ne·s une parole et un certain pouvoir décisionnel.

Vous êtes une liste plutôt jeune (entre 32 et 49 ans) d’habitant·e·s qui n’ont jamais été élu·e·s. Comment vois-tu les choses ?
Je suis optimiste pour l’avenir. La clef c’est de faire preuve de bienveillance. De veiller à l’attention qu’on se porte les un·e·s aux autres, à l’environnement dans lequel on évolue et à notre commune. C’est œuvrer pour le bien du plus grand nombre. Être élu·e, ça ne veut pas forcément dire être compétent·e. Nous sommes des personnes normales avec des vies professionnelles, familiales et personnelles à côté, nous n’avons pas vocation à être des professionnels de la politique. On prend sur notre temps libre mais le jeu en vaut la chandelle pour amorcer quelque chose qui soit différent à notre petit niveau et avec humilité. On est peut-être une liste de bric et de broc, mais toujours est-il qu’on arrive à gérer une mairie ! Il ne faut pas avoir de complexes vis-à-vis de la chose publique.

Antinéa Leclerc, thérapeute psycho-corporelle et naturopathe et maire de Saint-Senoux

Antinéa Leclerc, Maire de Saint-Senoux.

Comment es-tu arrivée ici ?
Cela fait 13 ans que j’habite Saint-Senoux où j’exerce en tant que thérapeute. Que ce soit au Conseil d’école, en tant que parent d’élève ou dans l’association Zébulon qui organisait des évènements, je me suis investie depuis le premier jour et jusqu’à aujourd’hui au niveau communal où l’on a par ailleurs créé des assemblées afin de donner la parole aux habitant.e.s. A titre d’exemple, malgré l’opposition de plus de deux cents personnes concernant la décision de mettre fin à la régie communale pour les cantines des écoles, celle-ci a été entérinée sans concertation et surtout contre l’avis des habitant.e.s. Avoir quatre enfants, cela permet aussi de côtoyer des agent.e.s de la collectivité et de se rendre compte de certains dysfonctionnements de la fonction publique. L’une de mes premières motivations était donc d’amener de l’humain, de valoriser les agent.e.s, de faire en sorte que chacun.e se sente à sa place et bien dans son travail.

Comment s’est déroulée la campagne ?
Inspiré.e.s par l’expérience de Saillans, nous nous sommes pleinement lancé.e.s pour les élections municipales à partir de septembre 2019. Nous n’avions que six mois pour monter une liste, c’était intense car, bien que de nombreuses personnes se soient montrées intéressées, peu osent franchir le pas. Avec d’autres listes citoyennes du territoire, nous avons mutualisé une formation à l’animation participative et à la suite de cela, certaines de ces listes m’ont sollicité pour animer des ateliers avec des habitant.e.s. Se retrouver dans cette posture d’animatrice a été très enrichissant.

Comment vis-tu ton rôle de maire dans cette dynamique collective jusqu’ici ?
Je n’ai jamais été élue et ce début de mandat demande d’approfondir de nombreux sujets. J’ai choisi d’arrêter mon activité professionnelle au moins pour la première année de mandat, afin de pouvoir me consacrer entièrement à la municipalité. Je ne m’attendais pas à être élue maire, bien que j’aie toujours cru en cette liste et en chacune des personnes qui s’y sont engagées. Aujourd’hui je prends énormément de plaisir et je me sens à ma place. Tout est là : de la coordination de projet et de l’humain. Au bout de trois mois, je me rends compte que tout ce qu’on avait imaginé en équipe avant les élections demande en réalité énormément de temps et d’organisation. Mais nous restons déterminé.e.s à mettre en place une réelle démocratie.

Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?
Nous avions besoin de ces deux jours de formation pour parfaire notre schéma de gouvernance théorique enrichi par l’expérience pratique. Suite à cette formation, nous avons pu présenter un nouveau modèle participatif amendé aux habitant.e.s lors de nos ateliers citoyens du week-end prochain (ndlr : fin septembre).

[Épilogue]

Une semaine après la formation, le nouveau schéma de gouvernance a été présenté aux habitant·e·s lors d’ateliers participatifs. Antinéa raconte…

“Cela a été un vrai succès en particulier parce que les habitant·e·s se sont emparé.e.s du groupe de travail sur la participation citoyenne. Ces ateliers ont aussi permis le lancement des groupes de travail avec les habitant·e·s, des élu·e·s et les agent·e·s. Ainsi, trois chantiers participatifs ont été lancés : le nettoyage de l’église, celui du cimetière et l’entretien et balisage des sentiers de Saint-Senoux. La population a manifesté en nombre sa volonté d’y participer et de faire en collectif.

La prochaine étape sera de rendre visible les avancées de la municipalité et des habitant.e.s, notamment sur le site internet, et d’inviter les élu.e.s minoritaires au comité de pilotage** et d’être beaucoup plus rigoureux quant au calendrier pour qu’ils·elles aient toutes les infos suffisamment en amont pour leur permettre de participer pleinement.

Construction collective du Schéma de gouvernance municipale de Saint-Senoux lors de la formation-action.

*Région géographique et culturelle d’Asie occidentale, majoritairement peuplée par les Kurdes.
*Instance créée par les élu.es de la liste participative, située entre les commissions et le Conseil Municipal pour permettre à tou·te·s les élu.es d’être au même niveau d’information sur tous les sujets et de pouvoir prendre les décisions en toute connaissance de cause au Conseil Municipal.

Article rédigé par Solenne Boiziau.