La place de maire dans une mairie participative.
6 avril 2021
Être maire dans une mairie participative, ça veut dire quoi ? Quand le·la maire descend de son trône et délègue ses pouvoirs, que reste-t-il de son rôle ? Lætitia Hamot, maire de La Crèche (6000 habitants en Nouvelle-Aquitaine), nous explique comment son équipe et elle ont redéfini sa présence au sein de la mairie.
Une désignation des représentants peu classique
J’ai été élue par une élection sans candidat. Je pensais que le résultat serait beaucoup plus serré avec les gens qui étaient à l’initiative de notre liste depuis bien plus longtemps que moi. C’est à ça que sert une élection sans candidat : ça fait remonter des personnes qui à priori ne se seraient pas présentées mais sont tout autant légitimes et aptes pour la fonction.
« On veut en finir avec cette image du maire omniprésent dans les prises de décision, il faut apprendre à lâcher prise et à déléguer »
Je viens du milieu associatif et dans cette continuité, je me projetais dans le rôle de maire comme animatrice de l’équipe municipale et aussi en représentation vers l’extérieur. Je ne m’attendais pas à un rôle si pyramidal ! On a du déconstruire cette image auprès des habitants et des agents. Il y a une très grosse attente venant d’eux, ils souhaitent que la maire soit omniprésente et sache tout. Ce sont des habitudes encore très ancrées. C’est pareil pour la préfecture et la communauté de communes. Il faut trouver le bon curseur et c’est difficile car il y a un risque de décrédibilisation face aux habitants s’ils voient que je n’ai pas la main sur tout. Le changement de culture dans cette façon de déléguer le pouvoir politique à d’autres personnes ne se fait pas du jour au lendemain. Beaucoup attendent du maire qu’il·elle ait le contrôle et le pouvoir sur tout, or c’est tout à fait l’inverse qu’on veut construire ici à La Crèche.
Lors de la formation avec Fréquence Commune, nous avons construit en intelligence collective un nouveau schéma de fonctionnement pour décentraliser le pouvoir en délégant les périmètres de décisions aux différents acteurs de la mairie. Ce schéma est aujourd’hui traduit dans une notice du schéma de gouvernance auquel nous pouvons tous nous référer et qui garantit les bonnes pratiques du pouvoir. Cette notice est un vrai cadre de référence qui permet à chaque acteur de la mairie d’expérimenter ces nouvelles manières de fonctionner et de savoir comment décider ensemble. Mais ce travail de transformation des pratiques du pouvoir nécessite aussi en parallèle un changement culturel chez les habitants sur leur conception du rôle et de la représentation qu’ils se font du maire.
Aujourd’hui, quelle est la place et le rôle de la maire ?
En tant que maire, j’ai une place :
- d’élue dans le bureau municipal (pouvoir purement exécutif) ;
- dans les groupes de travail (je participe à la prise de décisions) ;
- dans la plénière (je participe à la prise de décisions) ;
- je représente le Bureau municipal en Comité de direction ;
- je suis l’alter ego du Directeur Général des Services ;
- j’assure aussi le rôle de représentation (mariages, presse, etc) ;
- j’ai des pouvoirs régaliens et j’ai une responsabilité en ce qui concerne la sécurité des Créchois·e·s.
Mais pour moi, mon rôle principal est d’entretenir et de faire vivre la dynamique de groupe au sein du Conseil Municipal, et la dynamiques de prise de décisions démocratiques au sein de la population.
En tant que maire, je ne suis pas la porte-parole de toutes les thématiques. Selon notre schéma de fonctionnement, je ne suis pas forcément au courant de tout dans la mairie, la plupart du temps je redirige les personnes qui me demandent des informations ou des entretiens vers la personne référente de la thématique ou du projet.
Montrer un exemple de féminisation de la politique
Je suis aussi très heureuse d’être la première femme maire de la commune. De ce point de vue là c’est déjà un changement ! Je souhaite montrer aux petites filles qu’on peut être femme et maire. Je veux sortir des imaginaires du maire paternaliste, je ne suis pas la mère des habitants, il faut arrêter avec l’infantilisation des citoyens, il est temps que les habitant·e·s aient le pouvoir d’agir et de réagir. La maire est en partie là que pour faciliter ce pouvoir d’agir dans la commune, selon moi.
Des maires plus proches des habitants
Ma principale ambition avec cette équipe, c’est qu’on fasse lien avec les habitant·e·s. J’aimerais casser cet a priori qu’ont beaucoup d’habitant·e·s sur la politique : « ça ne m’intéresse pas », « ça ne me concerne pas », « je n’ai aucun impact là dessus ». Si nous arrivons à générer l’implication des habitants, et qu’elle perdure au delà du mandat, avec ou sans nous, on aura tout gagné.
Comment opérer ces transformations au sein de la mairie ?
On avait besoin d’être formés aux outils de démocratie participative avec les habitants. Mais on s’est vite rendu compte que pour faire de la démocratie avec les habitant·e·s, il faut déjà qu’on applique et qu’on assimile ces principes de gouvernance partagée en interne, dans l’équipe municipale. On a donc eu besoin d’une formation pour clarifier et rendre effectives ces règles de gouvernance partagée pour que ce soit fluide dans l’équipe pour pouvoir ensuite travailler en toute transparence avec les habitant·e·s.
L’autre raison pour laquelle on a fait appel à cette formation c’est qu’on s’est très rapidement retrouvé submergés par les affaires courantes de gestion de la commune. Ce qui fait qu’on ne trouvait plus le temps pour travailler notre projet politique principal : le changement de pratiques politiques et la démocratie. Les circuits et périmètres de décision de chacun n’étaient pas clairs, ce qui fait qu’on était très lents pour décider. Les prises de décision se faisaient au feeling, sans règle précise (une fois avec toute l’équipe d’élu·e·s, une autre fois avec le bureau municipal ou encore avec les agents), mais le flou laisse place à des abus de pouvoir volontaires ou involontaires.
Comment décider collegialement dans l’urgence ?
Il y a eu un cas qui a beaucoup fait réagir dans l’équipe : dans la cour de l’école il y avait des vis par terre ce qui blessaient les enfants. J’ai décidé dans l’urgence, avec le conseil d’école de couler une dalle de béton dans la cour. Les autres membres de l’équipe étaient furieux que je me sois permise de prendre cette décision seule car ils auraient décidé d’une autre solution avec des matériaux plus écologiques pour répondre à ce problème. Par la suite, ils ont compris que, premièrement, l’urgence liée à la sécurité des enfants me donnait l’autorité nécessaire pour agir sans leur consentement (en pensant à les informer par la suite) ; et deuxièmement, le conseil d’école, qui est l’organe représentatif (puisqu’il rassemble des élus, des représentants des parents d’élèves, des personnels scolaires et la direction de l’école) avait la légitimité d’orienter la décision, même s’il reste de notre rôle d’orienter vers la transition écologique. Les groupes de travail vont maintenant prendre leurs périmètres de décision respectifs et seront légitimes dans les prises de décision qui leur reviennent. Nous avons aussi beaucoup progressé dans la communication interne liée à la prise de décision : quel mode de communication rend la prise de décision légitime : présentiel, distanciel, réunion, tchat… ? Tout cela est désormais inscrit dans notre schéma de gouvernance.