Syndicat de la Montagne limousine : la forêt, le bien commun et la résistance

Peyrelevade, Meymac, Eymoutiers, etc.

Corrèze, Creuse et Haute-Vienne

38 600

Depuis 2014

Elinor Ostrom propose de conceptualiser la propriété non pas comme un droit unique et absolu opposé au libre accès, mais davantage comme un faisceau de droits (bundle of rights), soit un ensemble de droits distincts : le droit d’accès, le droit de prélèvement, le droit de gestion, le droit d’exclusion, le droit d’aliénation : c’est ce qu’on appelle aujourd’hui « Les communs ».

Historiquement les forêts françaises étaient des communs en raison du droit d’usage dont disposaient les habitant⸱es. Ces dernier⸱ères pouvaient collectivement accéder et prélever des ressources forestières et les utiliser pour le bois de chauffage et de construction, ainsi que pour le pâturage du bétail.

Les forêts du Limousin, qui recouvrent 60% de son territoire, sont à plus de 90% privées, avec une gestion déléguée à des groupements forestiers. Ces forêts sont notamment soumises à des pratiques sylvicoles industrielles destructrices financées en grande partie par des aides publiques — comme le plan « France relance » de l’État et des aides de la région — qui encouragent les coupes rases de feuillus et leur remplacement par des plantations de résineux en monoculture.

Dans les départements de la Corrèze (19), de la Creuse (23) et de la Haute-Vienne (87), des habitant⸱es ont alors décidé de se réunir entre 2018 et 2019 au sein du Syndicat de La Montagne limousine pour faire converger leurs forces et former un groupe de travail dédié à la réappropriation de leurs forêts.

Le Syndicat de La Montagne limousine regroupe l’ensemble des initiatives déployées sur le territoire de la Montagne limousine (situé entre la Corrèze, la Creuse et la Haute Vienne) qui visent à défendre et à mettre en œuvre une vision du territoire selon les six perspectives suivantes :

• Relocaliser l’usage des ressources du territoire : l’eau, l’énergie, la forêt, l’alimentation
• Permettre l’accès à la terre et au logement pour toutes et tous
• Défendre les infrastructures existantes, se doter des moyens et des services dont ce territoire a besoin
• S’organiser face aux violences du système, de l’économie et à l’arbitraire administratif : se défendre
• Mettre en place un droit d’asile local : il n’y aura pas d’expulsion sur la Montagne limousine
• Mettre un terme, à leur échelle, à la destruction du vivant, des sols et des milieux de vie humains et non humains

Le terme « syndicat » évoque à la fois la dimension de lutte, d’élaboration et de construction de solutions et de réponses concrètes et opérationnelles aux enjeux du territoire. Le syndicat est un outil collectif de synergie qui facilite l’auto-organisation de ses membres et qui donne de la puissance à leurs actions. Il permet à différentes stratégies de se rencontrer et de se nourrir entre elles, électorales ou non. Il offre des espaces de discussion, de mobilisation et de partage à des habitant⸱es qui souhaitent œuvrer à plusieurs pour un certain nombre de valeurs. Cette structure pose des principes de gouvernance qui permettent à chaque groupe thématique de conserver l’autonomie d’un groupe informel tout en conjuguant ses forces à d’autres quand nécessaire. Elle donne aussi de la visibilité à différentes luttes et actions grâce au site internet et aux gazettes notamment et peut favoriser la recherche de financement.

Aujourd’hui, les thématiques adressées par le Syndicat de La Montagne limousine dépassent celles de la forêt et s’élargissent à tous les commus : le logement, le grand âge, les exilé⸱es, l’eau, l’agriculture, l’éducation, l’énergie, l’international, l’aide juridique, la mobilité, la solidarité et l’autonomie alimentaire, le soutien psychologique.

Le groupe Forêt constitue une des nombreuses thématiques dont se saisit  le Syndicat de La Montagne limousine. Il s’organise autour de trois pôles principaux et vise à lutter contre le modèle forestier industriel et à proposer des alternatives sur le territoire.

• Au sein du pôle Formation, les bénévoles forment les habitant⸱es et les autres membres du collectif aux métiers de la forêt et à la gestion sur le long terme de forêts vivantes et diversifiées, tant sur le plan technique qu’écologique, pour rompre avec le modèle industriel actuel.
• Le pôle Action militante lutte avec d’autres collectifs contre la mise en place de gros projets — comme des scieries par exemple — liés à l’exploitation industrielle destructrice de la forêt.

• Afin d’éviter la création de nouveaux projets écocidaires, le pôle Achat de forêts cherche au travers de l’association Haut Les Cimes à acheter des forêts privées pour  œuvrer à leur préservation et à leur réappropriation par les habitant⸱es dans le territoire de la Montagne limousine. L’association sera bientôt locataire d’une forêt mise à disposition par le fonds de dotation Forêts en vie, et devrait devenir propriétaire d’une autre forêt dans la commune de Gentioux-Pigerolles (Creuse, 373 habitant⸱es). Toutefois, les ressources financières considérables des coopératives forestières rendent le rapport de force avec le collectif d’habitant⸱es profondément asymétrique.

Outre ces trois pôles, un outil collaboratif de sauvegarde des forêts de feuillus, Vigiefeuillus, a récemment été mis en place pour intervenir le plus rapidement possible avant la coupe.  Le but est de créer un réseau d’habitant⸱es pour alerter sur les coupes de parcelles de feuillus récentes, en cours et à venir, et entrer en lien le plus tôt possible avec les propriétaires pour les sensibiliser à d’autres modes de gestion de leurs forêts.

Par ses nombreuses actions, le groupe Forêt a gagné en crédibilité auprès du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin et travaille désormais étroitement avec ses salarié⸱es. Il est aujourd’hui reconnu comme un interlocuteur incontournable, ce qui n’a pas toujours été le cas. Toutefois, ses rapports avec la préfecture demeurent conflictuels comme l’illustrent les interdictions de rassemblements et le déploiement des forces de police lors de manifestations.

Pour soutenir les luttes, les municipalités peuvent quant à elles constituer des alliées de taille dans le territoire. Elles ont en effet la possibilité de limiter la privatisation des forêts (rachat des parcelles forestières, intégration de la protection des forêts dans les documents d’urbanisme, mise en place des trames vertes et bleues à l’échelle locale, etc.). Si le Syndicat de La Montagne limousine n’a pas vocation à s’inscrire dans des démarches électorales, il soutient néanmoins ses membres, élu⸱es ou non, qui souhaitent constituer des listes citoyennes et participatives (LCP) en vue des élections municipales de 2026. Il s’inscrit ainsi dans une logique de mobilisation collective pour des principes et une vision du territoire dont la municipalité peut être un prolongement, un moyen complémentaire d’action et non une fin en soi.

« Nous ne voulons plus être les éternels spectateurs et spectatrices d’un monde qui n’en finit pas de s’effondrer. Aucun gouvernement n’apportera plus de solution. Il est temps de porter nos espoirs et nos forces ailleurs. La Montagne limousine, où nous vivons, est l’échelle adéquate pour nous saisir d’un certain nombre de problèmes essentiels qui sans cela font naître en nous un grand sentiment d’impuissance.

Le syndicat a été créé par et pour celles et ceux qui vivent sur la Montagne limousine et sont soucieux de préserver ses ressources, la diversité des formes de la vie humaine et non humaine qui font sa richesse, et d’y défendre des conditions de vie dignes pour toutes et tous.

C’est un outil pour se regrouper sur le territoire que nous habitons et défendre nos intérêts communs. Une force collective qui soit plus que la somme des parties qui le constituent, et qui puisse s’opposer aux puissances qui façonnent sur notre dos l’avenir du territoire, les banques, les administrations diverses, les lobbies économiques locaux, régionaux, internationaux… »

Raison d’être du Syndicat de La Montagne Limousine